mardi 4 octobre 2016

Quand le Pentagone produisait des vidéos au nom d’Al-Qaïda



De mai 2007 à décembre 2011, le Pentagone a payé plus de 500 millions de dollars à un cabinet de relations publiques britannique pour de la propagande classée « top secret » et la réalisation de fausses vidéos terroristes d'Al-Qaïda en Irak.

Le Bureau of Investigate Journalism (TBIJ - thebureauinvestigates.com) dirigé par Rachel Oldroyd a publié ce dimanche 2 octobre les résultats d’une enquête menée par Crofton Black et Abigail Fielding-Smith évoquant le financement par le Pentagone d’une campagne de communication « top-secrète » pour un montant de plus de 540 millions de dollars à l’agence de relation publique britannique Bell Pottinger. Une partie non précisée de ce budget aurait servi à produire de fausses vidéos djihadistes lors de la troisième guerre menée en Irak entre le 20 mars 2003 et le 18 décembre 2011. Ces contrats auraient été signés par l'ancien général David Petraeus - alors commandant des forces de la coalition en Irak et qui prit la direction de la CIA en 2011 - et même à l'occasion par la Maison Blanche.

Le mois de la mise en place de l’équipe de Bell Pottinger (mai 2006) à Bagdad, cinq attentats suicide à la bombe tuèrent des centaines de personnes dans la ville, et un attentat suicide à la voiture piégée (le 14 mai) près de Camp Victory (base armée américaine située à 5 km de l’aéroport international de Bagdad), tua 14 personnes et en blessa 6 autres.

Selon TBIJ, le travail commandé à Bell Pottinger se composait de trois types de produits. Les premièrs étaient des publicités télévisées dépeignant Al-Qaïda sous une lumière négative (communication « blanche »). Les seconds étaient de faux bulletins d’informations conçus comme des reportages de télévisions arabes et les troisièmes consistaient à partir de film basse définition vidéo d'attentats d'Al-Qaïda (fournis par l’armée), à les modifier pour les faire distribuer aux stations de télévision à travers la région.

Les communications dites « blanches » mentionnent l’auteur ou le commanditaire (typiquement une publicité classique), les communications dites « grises » sont anonymes et les communications « noires » sont celles dont l’identité des auteurs est fausse. Une communication « noire » a donc pour objectif de faire porter un message par un tiers pour servir les intérêts du véritable commanditaire.

Le troisième type de communication était en l’occurrence la production de faux films de propagande d'Al-Qaïda. Le responsable de l’unité de Bell Pottinger explique dans une vidéo enregistrée sur le site de TBIJ que les consignes de production de ces dernières vidéos étaient précises : durée, format de fichier (RealPlayer, la compagnie de Rob Glaser déjà evoquée dans Centurie News n°4) et codage.

Selon TBIJ, ces vidéos étaient emmenées par des marines en patrouille sous forme de CD et déposées durant les interventions sur les lieux de combats ou de chaos pour qu’elles soient ensuite retrouvées comme des vidéos de propagande des terroristes sur place. La compagnie employait jusqu’à 300 membres en Irak.

Selon la source de TBIJ, le codage des documents diffusés via CD les liait à un compte Google Analytics, qui traçait l’adresse IP de l’ordinateur sur lequel le CD avait été regardé. Ce traçage permettait de suivre la circulation des documents partout dans le monde et de mieux comprendre les schémas de diffusion de ces informations fausses à partir des réseaux de diffusion des chaines arabes destinatrices de ces vidéos.

Le Pentagone a confirmé que Bell Pottinger était bien un prestataire de service du Pentagone en Irak dans le cadre du Groupe de travail sur les opérations d'information (IOTF), pour la production de certains documents de la coalition, et d’autres qui ne l’étaient pas, précisant que tout le matériel produit par l’IOTF était «la vérité».

Timothy John Leigh Bell, ancien proche collaborateur de Margareth Thatcher, qui a démissionné de ses fonctions de président de Bell Pottinger au début 2016, a déclaré au Sunday Times que le déploiement de dispositifs tels que ceux évoqués par l’enquête du TBIJ était «parfaitement possible», mais qu’il les ignorait personnellement.

Pour mémoire, c’est l'agence de communication presse de Bell Pottinger qui avait distribué une photographie montrant l’opposant russe Alexander Litvinenko mourant, sur son lit d'hôpital, après son hypothétique empoisonnement au polonium. Un empoisonnement dont les services du président russe Vladimir Poutine avaient étés accusés par la presque totalité des médias occidentaux. Bell Pottinger a aussi assisté le gouvernement saoudien pour faire pression sur les autorités britanniques afin de faire abandonner les poursuites du Serious Fraud Office (lancé en septembre 2003) dans des pots de vin présumés du contrat d'armement Al Yamamah (« Le Pigeon » en arabe), conclu entre le Royaume Uni et l’Arabie Saoudite en 1985. Le Premier ministre, Tony Blair, avait justifié la décision du Serious Fraud Office d’abandonner les poursuites en 2008 ainsi : «Notre relation avec l'Arabie saoudite est d'une importance vitale pour notre pays en matière de lutte contre le terrorisme, (...) Cet intérêt stratégique est prioritaire ».

Bell Pottinger a changé partiellement de propriétaire en 2012 et sa structure actuelle n'aurait, selon TBIJ, plus de lien fonctionnel avec les membres de l’unité qui a travaillé en Irak, fermée en 2011 au moment où les troupes américaines se sont retirées. Timothy John Leigh Bell reste actionnaire à hauteur de 25% dans le capital de Bell Pottinger, qui est aujourd’hui dirigé par un certain David Beck.

Au regard de la qualité technique des vidéos produites par l’Etat Islamique (ISIS), il n’est pas incohérent de se demander si la superproduction de la communication d’activités terroristes par des professionnels rémunérés par des Etats étrangers, appartient bien à notre passé.

www.centurienews.com

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire