mercredi 10 avril 2013

Todd : "L’austérité n’est pas la vertu, c’est la réduction de l’Etat à sa fonction de serviteur de la dette, et la dette, c’est l’argent des riches !"


Extraits :

Seriez-vous nationaliste, comme on vous en a accusé ? Et germanophobe ?
« C’est ridicule… Je ne dis pas que la France est merveilleuse, je dis qu’elle existe. Je ne dis pas que l’Allemagne est atroce, je dis qu’elle existe, comme les autres nations européennes. Et de la même manière que les régions françaises ne convergent pas, les pays européens non seulement ne convergent pas, mais divergent. Comment imaginer que la France, qui produit deux enfants par femme, va un jour ressembler à l’Allemagne, qui en produit 1,4 – un écart qui n’a jamais été aussi important ?
Or, l’euro a justement été construit sur l’hypothèse d’une convergence des sociétés. Il est donc aisé de comprendre pourquoi la zone euro est en train de se fragmenter, avec des pays qui perdent pied, et d’autres qui se portent bien. Les rapports de force entre sociétés sont une réalité qu’il est absurde de nier. Ou alors on refuse le monde réel, on construit l’euro – et après, on ne s’étonne pas que ça ne marche pas ! »
Vous avez appelé à voter pour François Hollande, voyant en lui « un nouveau Roosevelt », évoquant l’avenir d’un « hollandisme révolutionnaire »… Vous ne le regrettez pas ?
« Non, car il nous a débarrassé d’une droite folle, qui cherchait une issue à son impuissance dans la désignation de boucs émissaires. Mais alors, les vrais problèmes apparaissent à nu : la débâcle économique de la France. Tous les voyants sont au rouge, en France et en Europe. Et la crise de Chypre a fait prendre conscience aux peuples de l’incompétence des gouvernants : un Pierre Moscovici est sans doute sympathique, mais il n’est pas au niveau pour comprendre ce qui se passe dans la zone euro.
Si je suis honnête, je dois reconnaître que la dernière prestation télévisée de François Hollande ne me rend pas optimiste. La politique du gouvernement est vouée à l’échec. L’euro est en train de détruire l’industrie française, et il détruira aussi François Hollande. Sauf que la messe n’est pas dite… J’ai parlé de "hollandisme révolutionnaire" en précisant qu’il n’apparaîtrait qu’après une période de conformisme débouchant sur un échec cinglant. Or on n’en est qu’au début : dans trois mois, ce sera pire, dans six mois, pire encore… La question devient : Hollande aura-t-il encore assez d’autorité pour imposer un revirement ? Le président français est le dirigeant du monde occidental qui, selon les institutions, a le plus de pouvoir, mais son pouvoir est devenu une fiction, il a été annulé par l’euro. Sortir de l’euro serait pour François Hollande la seule manière de reprendre le pouvoir – ce que je lui ai récemment dit, en tête à tête, mot pour mot. »
Et quand vous voyez l’ancien ministre du Budget, Jérôme Cahuzac, pris avec un compte en Suisse ?
« Je trouve formidable qu’il ait été pris ! Car ce n’est pas seulement un homme qui a été pris, mais un système. Le ministre qui s’occupait du budget, de l’austérité, notre Monsieur la Vertu, apparaît comme un pourri ayant un compte en Suisse. Et c’est la règle : les professeurs d’austérité à travers l’Europe sont des gens qui ont un rapport particulier avec l’argent des riches : Mario Monti (l’ancien président du Conseil italien) et Mario Draghi (président de la banque centrale européenne) ont eu des liens avec Goldman Sachs (la banque d’affaires américaine impliquée dans la crise financière). L’austérité n’est pas la vertu, c’est la réduction de l’Etat à sa fonction de serviteur de la dette, et la dette, c’est l’argent des riches ! »

L'interview en entier sur Le Républicain Lorrain