dimanche 24 août 2014

Qui est-il, ce "Tsar" ? Par Youri Iourtchenko

"Tsar" et Strelkov
Voici le dernier article écrit par Youri Iourtchenko avant son arrestation :
(Traduction : Laurence Guillon)

Un collègue correspondant de guerre m’appelle : « Tu connais le « Tsar »? – « Oui ». – « Qu’est-ce que tu peux m’en dire ? C’est quel genre de type ? »

Beaucoup de gens posent cette question, en ce moment. Et je peux dire tout de suite sans me tromper que celui qui me pose cette question est soit quelqu’un qui est arrivé au Donbass par hasard, soit quelqu’un qui n’est pas depuis longtemps dans les Forces Républicaines. Parce que celui qui a un peu servi ici, vécu ici, combattu ici a entendu ce surnom d’une manière ou d’une autre. L’un commencera à vous raconter que le « Tsar », c’est l’un des meilleurs commandants de Strelkov, et que beaucoup s’efforcent d’entrer dans sa division, l’autre quelque histoire héroïque liée au « Tsar » de la période de Slaviansk, le troisième que c’est « un mec normal bien de chez nous », qu’on peut toujours aller trouver pour un conseil : le « Tsar » est lui-même du cru et les problèmes locaux lui sont familiers et compréhensibles…

Il a grandi comme un gamin de la région de Lougansk, il allait à l’école, se battait, tombait amoureux et ne rêvait pas de carrière militaire, il aimait les arts martiaux et rêvait de devenir entraîneur de judo, mais pas n’importe lequel, entraîneur pour enfants. C’était un gars persévérant, et il réalisa son rêve : pendant 20 ans, il pratiqua son métier bien-aimé, il enseignait le judo aux gamins et aux gamines de la ville de Slaviansk, il le faisait avec plaisir et n’aurait jamais cru lui-même qu’il devrait échanger brusquement sa profession paisible contre celle de défenseur de la Patrie.

La Patrie du « Tsar », c’est le Donbass. Et il avait tout, en quelque sorte, dans cette Patrie : un travail intéressant, une famille, un domicile (même à crédit), une voiture (même si elle n’était pas super classe), dans l’ensemble, tout se déroulait semblait-il normalement. Mais l’Euromaïdan se rua dans sa vie, et l’obligea, ainsi que son frère, et beaucoup de leurs amis en Ukraine (et pas seulement en Ukraine) à oublier pour l’instant sa profession et à s’en approprier vite une autre, le métier des armes. Quand il apprit le 12 avril que les habitants de Slaviansk, parmi lesquels se trouvait son jeune frère, s’étaient emparés du siège du Service municipal du Ministère des Affaires intérieures et du SBU, il est tout de suite allé à leur secours. Et il n’est plus revenu dans sa salle de sport. Il a trimballé comme tout le monde des sacs de sable, construit des barricades, gardé les postes de blocage, effectué des missions de reconnaissance… A ce moment-là, il a attiré l’attention de « Strelok » (NDT: colonel Igor Strelkov) autour duquel se rassemblaient les premiers défenseurs de Slaviansk : les renseignements livrés par le groupe du « Tsar » étaient les plus exacts et les plus fiables (ici, bien sûr, se manifestait le fait que le « Tsar » « travaillait » sur sa propre terre dont il connaissait chaque sentier secret et chaque coin perdu. Slaviansk devint pour beaucoup une excellente école, le « Tsar » et son équipe ne firent pas exception, ils s’acquittèrent brillamment des missions de reconnaissance et de sabotage confiées par le commandement de la garnison de Slaviansk… Le « Tsar » domina vite une science pour lui nouvelle, celle de la guerre : il apprit à utiliser le « blindé », la technique de combat, à interagir avec l’artillerie, à anticiper et deviner les coups de l’ennemi… Il reconnut tout de suite dans le « Premier » (Strelkov) un talent de chef de guerre et « observa » beaucoup de choses auprès de lui pendant ces quatre mois. Un homme vraiment doué apprend toujours et avec tout le monde. C’est justement le cas de « Tsar » : il ne perd pas sa couronne « royale » quand il « saisit » quelque chose chez des combattants beaucoup plus jeunes que lui, comme chez le commandant de la compagnie d’Ilovaïsk « Ghivi », entrant dans la brigade générale du « Tsar ». C’est en effet son « école de Slaviansk » et celle de ses camarades les commandants, que Strelkov avait à l’esprit lorsqu’il dit que les gens venus des professions civiles se faisaient plus vite à la guerre que les gradés…
Il y a des sujets que le « Tsar » n’aime pas aborder. L’un d’eux est la retraite de « l’armée de Strelkov » de Slaviansk (qui lui était devenue chère depuis longtemps). C’est un sujet pénible. Et pas seulement pour le « Tsar » mais pour tous les gars de Strelkov. Bien que le « Saint-Georges » ait été accroché à la poitrine du « Tsar » justement à cette occasion. Il n’est pas allé chercher sa famille pour la sortir de Slaviansk, sa femme blessée et sa fille de 9 ans, car il était à ce moment-là indispensable à ses combattants pratiquement encerclés : il a fait sortir sains et saufs près de 150 hommes. Plus tard, il a quand même sorti aussi sa famille de Slaviansk occupée par l’armée ukrainienne…
Pendant presque un mois et demi la brigade générale du « Tsar » a assuré la défense de Chakhtiersk , et plus exactement de toute la région : Ilovaïsk, Mospino, Khartsyzsk, Krasnyi Loutch, Mioussinsk et autres agglomérations depuis Larino jusqu’à Krynki… A Chakhtersk « régnait » la même atmosphère qu’à Slaviansk, la même proximité, la même unité. Les cosaques aussi bien « qu’Oplot » et les « gars de Strelkov » travaillaient en plein accord comme une seule division.

J’ai remarqué quelquefois avec quelle coordination et quelle efficacité travaillaient (dans les pires conditions, sans avoir sous la main les instruments indispensables, ne bénéficiant pas de points d’observation avantageux ; pratiquement sans communications) les correcteurs du « Tsar » et les artilleurs « d’Oplot. C’est justement là, à Chakhtersk que je me suis souvenu soudain des lignes écrites par le poète et commandant d’un peloton de mortiers, le lieutenant en second Mikhaïl Koultchitski, mort en janvier 1943, lors de la libération de la région de Lougansk des troupes fascistes :

« La guerre n’est pas du tout un feu d’artifice
Mais simplement un travail difficile… »

Les combattants « d’Oplot » et les soldats républicains du « Tsar » faisaient leur travail d’une façon professionnelle et habituelle, sans pathos et sans agitation, brisant l’encerclement de l’artillerie ukrainienne autour de la ville, devinant les arsenaux et les dépôts de munitions et de carburant de l’ennemi, organisant des feux d’artifice des plus mortelles réserves à l’endroit même où elles étaient à la disposition de l’ennemi… Et sauvant par là même et la ville de la destruction complète et des dizaines et des centaines de vies parmi les civils, auxquels ces obus étaient destinés. Car c’est précisément à Chakhtersk que l’armée ukrainienne a utilisé pour la première fois dans cette guerre le complexe tactique de missiles « Totcha –U », lancé par la fusée qui a explosé sur un quartier résidentiel, creusant un cratère de 15 m de diamètre et profond comme deux fois la taille d’un homme.

C’est là même, à Chakhtersk, que je me répétais d’autres vers connus du même poète :

« Foin des décorations
Pourvu que la Patrie
Eût ses Borodino quotidiens »

Oui, Chakhtersk, Snejnoïe, Thorez, Saur-Mogila, ce sont nos « Borodino quotidiens ». Lors des combats de Chakhtersk plus de 120 unités de technique ennemie ont été détruites en quelques jours, c’est notre Arc du Donbass…

Le « Tsar » (en cela, il ressemble aussi à Strelkov) est connu pour préserver ses combattants, il essaie de ne pas risquer leur vie sans nécessité impérieuse… En lui le « commandant de brigade » fait toujours bon ménage avec le « conseiller », « l’entraineur », qui observe attentivement et protège les enfants sous sa responsabilité. .. Et les combattants lui répondent par la même loyauté et le même amour que lui prodiguaient (il n’y a pas si longtemps !) ses jeunes élèves de la salle de sport de Slaviansk.

J’ai assisté deux fois à ses négociations par téléphone avec le commandant de la 25° brigade aéromobile de parachutistes ukrainiens. J’ai vu comme il lui était difficile de ne pas exploser, de ne pas couper la conversation - non, il n’avait pas le droit, il ne pouvait laisser libre cours à ses sentiments, ses émotions : il était question d’un échange de prisonniers et à toutes les exigences infondées, les conditions difficiles à expliquer de ceux d’en face, il fallait répondre avec patience, retenue et s’efforcer, en dépit de tout, de parler humainement. J’ai vu combien cela lui était difficile, comme il cherchait ses mots, choisissait les plus aptes à convaincre l’homme au bout du fil que les combattants prisonniers chez eux devaient nous être rendus dans le même état que les soldats ukrainiens que nous devions leur rendre, c’est-à-dire pas battu à mort, comme ce fut le cas plus d’une fois, mais sous un aspect normal, avec des plaies pansées, et, dans la mesure du possible, dans un état psychique normal. C’étaient des conversations très difficiles, qui s’interrompaient souvent à cause des bombardements de l’artillerie ennemie ou d’une exigence absurde et hystérique inattendue de la part de ceux d’en face, et chaque fois le « Tsar » reprenait avec patience et presque tendrement (on aurait pu penser qu’il parlait à un vieil ami, qui se trouvait à ce moment dans le malheur, peut-être à l’hôpital, et avait besoin de plus d’attention et de soins particuliers) une autre tournée de négociations…

On peut en raconter encore beaucoup sur le « Tsar »… Mais revenons au début de cet article. Il a commencé par les questions que les gens sont nombreux à se poser maintenant, en Ukraine et en Russie : « C’est quel genre de type, ce Tsar ? » Cet intérêt accru pour sa personnalité est compréhensible ; voici déjà quelques jours que Valdimir Petrovitch Kononov (dit le « Tsar ») « en lien avec le changement de poste d'Igor Strelkov » a été nommé ministre de la Défense de la RPD.
Je pose cette question au nouveau ministre :

« Pour beaucoup, ici comme en Russie, le mouvement de libération du Donbass est inséparable du concept de « l’armée de Strelkov ». Et les soldats républicains eux-mêmes, revenus de Slaviansk (et c’est là le noyau de l’armée de la DPR, la plus apte au combat, sa partie la plus « aguerrie »), se nomment avec fierté les « hommes de Strelkov ». Nous savons que de nombreux volontaires de diverses régions et de divers pays viennent ici « rejoindre Strelkov », dans le but de devenir une partie de cette légendaire « armée de Strelkov ». Que va-t-il se passer avec sa nomination ailleurs et l’arrivée d’un nouveau ministre de la Défense : resterons-nous des « hommes de Strelkov », ou bien sera-ce une nouvelle armée, disons, « du Tsar » ?

Le ministre de la Défense de la RPD V. P. Kononov (« Tsar ») :

« Sans aucun doute, de par son esprit, ses tâches, l’armée de la RPD reste celle de Strelkov. Igor Ivanovitch (Strelkov) reste toujours à nos côtés ».
 
Youri Iourtchenko (« Henri »), correspondant de guerre.

Petition pour la libération de Youri :

M. Porochenko, Libérez Youri Iourtchenko!

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2 commentaires:

  1. Je découvre et parcours actuellement ce blog (que je me suis d'ores et déjà permis d'ajouter à la rubrique "Saines Lectures" du nôtre) et me permets ces quelques lignes, afin de vous féliciter pour cet EXCELLENT travail... et vous faire savoir que - si vous n'y voyez pas d'inconvénients - nous serions ravis de pouvoir reblogger ou citer certains de vos articles !? ( Dans les règles de l'art - source, etc... - cela va sans dire ! )
    Cordialement : K.

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    1. Bien entendu, pas de problème pour moi. Merci à vous pour ces mots sympas.

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