samedi 24 juin 2017

Sergueï LAVROV s'exprime sur le rapprochement franco-russe sur la lutte contre le terrorisme [INTERVIEW]


Réponses à la presse du Ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov lors d'une conférence de presse conjointe à l'issue de son entretien avec le Ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, Moscou, 20 juin 2017:


Question: Ce n'est pas la première fois que les avions des USA, qui dirigent la coalition internationale en Syrie, attaquent les forces armées syriennes. Aujourd'hui ils ont abattu un drone militaire syrien et encore récemment un chasseur syrien, après quoi la Russie a suspendu le Mémorandum de coopération avec les USA pour prévenir les incidents aériens dans le ciel syrien. Parallèlement à cette montée de tension, pour la première fois depuis longtemps l'Iran a attaqué les positions des terroristes en Syrie. Quel pourrait être le résultat de ce nouvel élan de tensions? Comment la Russie va-t-elle réagir à ces événements?

Sergueï Lavrov: En effet, c'est très "étroit" en Syrie – sur le terrain comme dans les airs. On compte de nombreux belligérants: les forces armées syriennes; les forces qu'il est convenu d'appeler progouvernementales, y compris le Hezbollah soutenu par les Iraniens; l'opposition armée; les terroristes; les militaires turcs, comme vous le savez; les forces spéciales de plusieurs pays occidentaux et régionaux. Il y a également l'aviation – les forces aérospatiales russes et la coalition menée par les USA. Une partie de ces acteurs a été invitée par le gouvernement syrien, d'autres n'ont pas été invités et se sont impliqués sous prétexte de défendre l'objectif noble de lutter contre le terrorisme. C'est ce qui unit tout le monde aujourd'hui. De plus, si les efforts entrepris par la Russie, la Turquie et l'Iran sont menés jusqu'au bout, un objectif très important sera atteint: la fin des activités militaires entre le gouvernement syrien et l'opposition armée qui a pris ses distances des terroristes. Si les initiatives actuellement promues sous la forme de zones de désescalade étaient mises en œuvre, alors enfin, pour la première fois depuis le début de la crise syrienne, nous assisterons à la séparation entre les participants au cessez-le-feu et les terroristes, ainsi que ceux qui y sont affiliés en refusant d'adhérer au cessez-le-feu. Cet équilibre est très fragile mais si nous étions tous honnêtes, si nous avions pour objectif de lutter contre le terrorisme, nous aurions toutes les raisons d'empêcher la dégradation de la situation jusqu'au chaos et des incidents imprévisibles.

Comme je l'ai déjà dit, le mécanisme Russie-Turquie-Iran fonctionne avec le soutien et avec l'accord du gouvernement syrien. Les décisions prises dans son cadre sont approuvées par Damas. Il y a un mécanisme entre les militaires russes et américains qui existait et fonctionnait bien, mais il a été suspendu après les agissements des USA qui ont abattu un avion. Comme vous le savez, au niveau du Ministère de la Défense nous avons demandé des explications détaillées à ce sujet. Nous nous attendons à ce que cela soit fait. Bien sûr, dans le cadre de ce mécanisme les USA ne représentaient pas uniquement leur pays mais également toute la coalition. La Turquie, en tant que membre du processus d'Astana, influençait certains groupes armés sur le terrain. De la même manière l'Iran, en tant que participant à ce processus, avait de l'influence sur d'autres groupes.

En observant la situation actuelle, notamment depuis que le processus d'Astana est devenu stable, toutes les raisons sont réunies pour se focaliser sur la lutte contre le terrorisme. Je ne veux même pas supposer que cela ne convient pas à quelqu'un, que les frappes contre les forces gouvernementales reflètent une aspiration à saper l'efficacité des efforts antiterroristes, mais nous ne pouvons pas ne pas rappeler que durant toute cette crise, depuis le début du processus lancé avec John Kerry avec la participation de nos militaires et de nos services, on avait vraiment l'impression que contrairement à Daech le Front al-Nosra était toujours bon gré mal gré épargné par les partenaires américains. Nous en parlons franchement avec les Américains. Je soulèverai forcément cette question la prochaine fois avec le Secrétaire d’État américain Rex Tillerson, prochainement j'espère. Ce point doit être très clair. Le plus important est que les faits indiquent que la coalition frappe effectivement les positions de Daech, mais nous ne nous souvenons pas d'une lutte aussi active contre le Front al-Nosra - ou quel que soit son nom aujourd'hui. Il mimétise constamment et change de nom, mais cela ne change rien au fond.

Autre remarque. Si nous luttons effectivement contre le terrorisme, alors la planification des activités militaires de tous les participants à ce processus sur le terrain doit viser cet objectif précis. Parfois, en analysant le déplacement de certains groupes armés et des missions qu'ils remplissent, on a l'impression que leurs actions sont influencées par les tentatives d'apporter un aspect confessionnel à ces efforts. Il nous semble et nous sommes mêmes convaincus que les tendances malsaines qui se manifestent au sein de l'islam et que nous observons également en Syrie doivent être neutralisées. Tous les pays, y compris tous les pays musulmans, doivent s'unir autour de l'objectif commun de la lutte contre le terrorisme.

Les dernières complications dans leurs rangs ne nous réjouissent pas. Nous encourageons par tous les moyens la recherche de compromis et saluerons les actions qui permettront à la Ligue arabe et au Conseil de coopération du Golfe de s'unir et de diriger toutes leurs forces et leurs moyens pour lutter contre ce mal commun pour tous.

Question: Une détente dans les relations entre Paris et Moscou est-elle envisageable après la rencontre des deux présidents à Versailles?

Sergueï Lavrov: A la question de savoir si l'étape actuelle des relations entre la France et la Russie peut être qualifiée de détente je vous propose de répondre vous-même: vous êtes journaliste après tout. Vous devez analyser les événements et évaluer la situation. Décidez vous-même.

Question: En raison de la situation en Ukraine, les USA ont décrété de nouvelles sanctions contre la Russie. Quel fond cela crée-t-il en prévision du sommet bilatéral?

Sergueï Lavrov: Cela n'améliore pas l'atmosphère. Une nouvelle fois, des sanctions sont décrétées sans raison. Je pense que la référence à la situation en Ukraine fait déjà sourire tous les observateurs sérieux.

Malheureusement, nos partenaires de l'UE se sont cachés derrière une formule perfide selon laquelle les sanctions seront levées dès que la Russie remplira les Accords de Minsk. Nous appelons tous nos collègues européens à lire une nouvelle fois les Accords de Minsk. Ils expliquent très clairement qui doit faire quoi et dans quel ordre. Je ne peux rien dire à part regretter l'obsession russophobe de nos collègues américains, qui dépasse déjà toutes les limites.

Le Président ukrainien Petro Porochenko est incapable de remplir ses engagements dans le cadre des Accords de Minsk et on décrète des sanctions contre la Russie, des processus très complexes se déroulent en Syrie et seule la Russie en est responsable - et le régime de Bachar al-Assad, évidemment. Très souvent, quand l'évolution de la situation dans une région du monde n'est pas appréciée par certains congressistes américains, ils cherchent à nous en faire endosser la responsabilité. Même quand il y a eu la rupture entre les pays arabes et le Qatar, des rumeurs laissaient entendre que cela avait été organisé par des hackers russes. Bien sûr, cette information a été supprimée quelques heures plus tard quand on a compris son absurdité. Mais personne ne s'en est excusé.

En Russie il y a une tradition: tu rentres à la maison, des mamies sont assises devant l'immeuble et font des commérages. Alors nous avons l'habitude.

Question (adressée aux deux ministres): En parlant du dialogue entre les sociétés civiles vous avez dit qu'il s'appellerait "dialogue du Trianon". De quoi s'agit-il? Sera-t-il lié aux droits de l'homme, à la liberté d'expression et aux manifestations LGBT?

Sergueï Lavrov (répond après Jean-Yves Le Drian): En fait, tout dans cette vie est lié aux droits de l'homme. Le règlement des problèmes économiques, les emplois. Deux pactes sur les droits de l'homme ont été approuvés au milieu des années 1960: le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Cela a été fait en paquet car il ne faut pas oublier que les gens doivent profiter de leurs droits dans le cadre de leur activité socioéconomique. J'en suis persuadé, ainsi que d'autres personnes qui tentent de comprendre ce qui se passe actuellement dans de nombreux pays d'Europe et dans le monde. Je suis parfaitement d'accord avec le Ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian sur le fait que le dialogue social doit être global. Il nécessite certainement la présence de la société civile dans toutes ses hypostases, y compris les militants des droits de l'homme, des personnes qui souhaitent un rapprochement entre les cultures, des hommes d'affaires qui veulent renforcer les fondements des relations entre nos peuples.

Je répète, nous travaillons actuellement sur le cadre de cette structure, qui reflétera la nature globale de nos relations. Cela développe ce qui a été déjà été fait dans le passé. Nous avions un forum social franco-russe, mais il était plutôt orienté vers les aspects économiques d'interaction. Nous souhaitons qu'il soit bien plus large. Cette année, nous terminons l'Année croisée du tourisme culturel franco-russe. On évoque actuellement un nouvel événement croisé pour l'an prochain: l'Année croisée de la langue et de la littérature russe et française.

Question: Comment réagirez-vous à la décision de la CEDH, qui a reconnu comme discriminatoire la loi russe interdisant la propagande de l'homosexualité?

Sergueï Lavrov: Je ne me souviens pas avoir entendu ou lu une telle décision – elles sont nombreuses. Beaucoup se plaignent. Je répète ce que nous avons dit plusieurs fois. Il n'y a chez nous aucune persécution pour une orientation dans aucun domaine, y compris l'orientation LGBT. La seule chose que nous ne voulons pas et qui est interdite par notre loi est l'imposition de cette orientation aux citoyens russes mineurs. Même si nous avons soulevé ce sujet je ne vais pas entrer dans les détails maintenant. Mais puisque vous en êtes si préoccupés, cette préoccupation s'étend certainement à tous les pays du monde. Vous pouvez comparer.

Question (adressée à Jean-Yves Le Drian): De nombreux journalistes étrangers se trouvent actuellement dans cette salle. Pourquoi, en Russie, ont-ils le droit d'assister aux activités de ce genre, tandis qu'en France nous sommes accusés de ce que nous n'avons pas fait: de diffamation? C'est facile à vérifier sur notre site. Pourquoi ne nous délivre-t-on pas une accréditation pour un travail à part entière, n'est-ce pas de la censure?

Jean-Yves Le Drian: Le président de la République a dit sur ce sujet ce qu'il avait à dire, et vous n'imaginez pas que je vais être en contradiction avec le président de la République aujourd'hui à Moscou»

Sergueï Lavrov: Je ne contredirai pas non plus mon Président.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire