Par Jacques Sapir
Lors du débat de mercredi 3 mai au soir, M. Emmanuel Macron a affirmé que « le chômage avait baissé avec l’introduction de l’Euro ». Cette affirmation reprend une autre affirmation sur le surplus de croissance qu’aurait dû nous apporter la monnaie unique. L’histoire de cette affirmation, et des mensonges qui l’entourent, a été traitée dans mon ouvrage L’Euro contre la France, L’Euro contre l’Europe publié aux éditions du Cerf en octobre 2016. Je n’y reviens pas. Par contre, cette affirmation de M. Emmanuel Macron mérite que l’on s’y attarde.
Regardons d’abord les courbes du chômage. Sur ces courbes on a reporté les catégories A+B+C de « Pôle Emploi » (la DARES) car ce sont les seules pour lesquelles on ait des données remontant jusqu’en 1991 puis, à partir de 1995 les catégories A + B + D. Ces trois catégories sont bien plus représentatives du chômage.
Graphique 1
Source : DARES
On voit qu’en effet les courbes plafonnent à partir de 1999, avec des fluctuations importantes, avant d’exploser à partir de 2008. On rapporte alors ces courbes à l’évolution du taux de change Euro/Dollar. En effet la France était (et elle est toujours) une des pays les moins intégrés dans la zone Euro. Elle réalisait à l’époque plus de 50% de ses échanges avec la zone Dollar. On constate alors que l’Euro s’est fortement déprécié par rapport au Dollar de 1999 (date de son introduction) jusqu’en 2002. L’impact de cette dépréciation est évident sur l’économie française.
Source : BCE
Mais, l’emploi et son inverse, le chômage ne dépendent pas seulement du taux de change. L’activité économique est sensible au taux de change, mais elle est aussi sensible à la dépense publique (et donc indirectement à l’accroissement de la dette) via ce que l’on appelle le « multiplicateur des dépenses publiques ». Ce multiplicateur peut avoir un effet décalé dans le temps. Or, on constate que la dette et donc le déficit ont fortement augmenté de 1991 à 1996, se sont stabilisés quelques années, et ont repris leur progression dès 2002, c’est à dire quand l’Euro a commencé à se réapprécier.
Graphique 3
Evolution de la Dette publique nette et de l’Investissement (en % du PIB)
Source : Base de données du FMI
Cela signifie que l’endettement a dû jouer un rôle contra-cyclique par rapport aux conditions de mises en œuvre de l’Euro. On le vérifie en comparant la moyenne du taux de croissance réel à celle du taux de croissance « potentiel », soit sans les effets de la politique macroéconomique, effets induits par la politique monétaire et la politique budgétaire.
Tableau 1
Comparaison des taux de croissance réels et potentiels
1999-2005 | 2008-2016 | |
Moyenne du taux de croissance réel | 1,8% | 0,6% |
Moyenne du taux de croissance potentiel | 1,3% | 2,2% |
On constate immédiatement que la politique budgétaire (la politique monétaire étant elle désormais du ressort de la BCE) a été expansionniste de 1999 à 2005, ce qui a permis de compenser les effets négatifs de l’introduction de l’Euro. Ajoutons que l’introduction de la réforme des 35h a eu aussi un effet positif pour la croissance et l’emploi comme le montre une étude publiée par l’OFCE[1]. On peut alors comparer la croissance réelle de la France avec ce qu’elle aurait été sans l’Euro et ce qu’elle aurait été avec l’Euro mais sans la hausse de la dette publique.
Graphique 4
On mesure alors ce qu’a couté l’Euro à l’économie française. Oui, le chômage a été relativement stabilisé pendant les premières années de l’Euro, mais cela est dû :
A la dépréciation très forte de l’Euro de 1999 à 2002
Aux dépenses publiques (et à la dette) et aux effets directs et induits (hausse du pouvoir d’achat par le biais des heures supplémentaires) par la réforme des 35h qui ont soutenu la croissance française.
L’application de l’Euro, sans ces deux mesures, aurait conduit à un taux de croissance très faible, et donc à une augmentation du chômage.
Hors, l’accroissement de la dette n’est pas soutenable à long terme, et la poursuite de réformes comme les 35h n’est pas pensable sans flexibilité monétaire du fait des problèmes de compétitivité qu’elles induisent sur le long terme.
Emmanuel Macron a ainsi pensé en comptable et non en macro-économiste. On peut aussi penser qu’il connaissait en réalité l’envers des chiffres (pour avoir été le conseiller économique de François Hollande) et ce qu’ils signifiaient, mais qu’il s’est bien gardé de la dire. Dans un cas comme dans l’autre on pourra sur ce point juger de sa probité.
VOIR LA SUITE : Macron, le chômage et l’Euro (suite)
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