Question: Quels moyens existent pour influencer la situation actuelle dans le Donbass? Peut-être une réforme de la mission de l'OSCE? Au cours de leur entretien d'aujourd'hui, le Président russe Vladimir Poutine et la Chancelière allemande Angela Merkel se sont mis d'accord pour accélérer l'organisation des contacts dans le cadre du Format Normandie et au niveau des ministres des Affaires étrangères.
Sergueï Lavrov: Il n'existe qu'une seule recette. Personne ne remet en question la viabilité et l'absence d'alternative aux Accords de Minsk. Ce n'est pas une façon de parler, mais une vérité première. Rien de mieux n'a été inventé. Si quelqu'un espère que les problèmes de l'Ukraine pourront être réglés simplement en rétablissant le contrôle total du régime actuel dans le Donbass, c'est une illusion et tout le monde en Europe en est conscient, y compris Paris, Berlin et Bruxelles. Washington a commencé à le comprendre déjà sous l'ancienne administration. Il ne sera pas possible d'échapper à une délégation des pouvoirs en parfaite conformité avec les Accords de Minsk. Le Format Normandie s'occupe actuellement de la préparation d'une "feuille de route" qui assurera une action synchronisée et harmonisée sur tous les points des Accords de Minsk pour renforcer le régime de sécurité et promouvoir les réformes politiques. Ces processus doivent avancer "main dans la main".
Je ne crois pas que nos partenaires occidentaux ignorent tous les subterfuges utilisés par les autorités ukrainiennes pour trouver un prétexte afin de ne pas remplir les Accords de Minsk. Le Président russe Vladimir Poutine en a parlé en détail. Il s'est très franchement exprimé à ce sujet pendant sa conférence de presse à Budapest. Toutes ces appréciations ont été entendues et personne ne les a réfutées. De plus, dans les médias comme Radio Free Europe/Radio Liberty (RFE/RL) et récemment dans le magazine Foreign Policy (tous ces médias sont financés entre autres via le Département d’État américain) on a pu lire directement que la dernière escalade était avantageuse avant tout pour le régime de Petro Porochenko car elle lui permettait de détourner l'attention de sa propre incapacité à remplir ses engagements dans le cadre des Accords de Minsk et lui donnait l'opportunité de persuader l'administration Trump que la Russie était responsable de tout. Cette provocation n'a pas fonctionné. Vous connaissez la position qu'a adoptée le Président américain Donald Trump, qui a déclaré qu'il voudrait tirer toutes les choses au clair en Ukraine et comprendre comment se comportaient les parties. Je pense que c'est déjà un grand progrès par rapport à l'administration Obama qui essayait de tout exiger de notre part, tout en protégeant par tous les moyens Petro Porochenko.
Question: Dans quelle mesure l'adhésion des USA au processus de paix syrien est-elle envisageable? Peut-on imaginer que le précédent établi par les Américains quand ils ont fourni à notre aviation les coordonnées de Daech en Syrie puisse déboucher sur une coopération militaire à part entière?
Sergueï Lavrov: Premièrement, nous verrons encore quel sera le fond des actions concrètes de l'administration de Donald Trump. Actuellement cette dernière s'occupe activement de la formation des structures appropriées au Département d’État, au Conseil de sécurité nationale et au sein d'autres services de l'administration. Nous sommes en contact avec les personnes qui ont déjà été nommées. Nous pensons que dès qu'ils termineront le processus de formation des services dans tous les organismes du pouvoir liés à la politique étrangère, nous pourrons entamer un dialogue normal et alors nous saurons mieux dans quelle mesure nous pouvons coopérer. Mais il est déjà clair que la position ferme de Donald Trump sur la priorité de la lutte contre le terrorisme, contre Daech, se reflète favorablement sur la situation générale, sur la formation d'un front antiterroriste commun dont parlait le Président russe Vladimir Poutine en 2015 déjà à la tribune de l'Assemblée générale des Nations unies.
En ce qui concerne les actions concrètes pour coordonner les efforts antiterroristes: dès le premier jour d'intervention de l'aviation russe contre les cibles terroristes en Syrie à l'invitation du gouvernement et du président légitime de ce pays, nous avons proposé aux Américains - sous l'administration de Barack Obama, qui était à l'époque depuis presque un an à la tête de la coalition qui apportait un soutien aérien à l'Irak dans la lutte contre les terroristes et qui avait commencé de son propre chef et sans invitation à travailler dans le ciel syrien - de coordonner ces actions. Le gouvernement syrien n'y était pas opposé. A l'époque, il y avait une très bonne opportunité au stade initial d'assurer une lutte plus efficace contre Daech, le Front al-Nosra et consorts. A l'époque, pour des raisons purement idéologiques, les Américains avaient renoncé à la coordination tout en acceptant un "deconflicting", c'est-à-dire un accord sur des procédures d'évitement d'accidents dans les airs entre nos aviations. Ces procédures ont été mises en place, même si nous avons passé plus d'un mois à les mettre au point. Elles fonctionnent jusqu'à présent. Mais toujours, à toutes les étapes, y compris pendant le "marathon" de l'an dernier entre l'ex-Secrétaire d’État américain John Kerry et moi et entre nos militaires qui a débouché sur un document concret pour la coordination des actions qui a finalement été rejeté par l'administration américaine, nous avons proposé, hormis les procédures d'évitement des accidents, de mettre en place une coordination réelle pour se concerter sur les cibles et attaquer les positions des terroristes.
Le fait qu'en dépit des négociations de plusieurs mois conclues par un accord à ce sujet, l'administration de Barack Obama n'a pas rempli ces accords alors que dès ses premiers jours de travail à la Maison blanche l'administration de Donald Trump s'est engagée à une action - une seule pour l'instant mais concrète - en matière de la lutte contre Daech, permet de voir la différence entre les deux administrations à la Maison blanche. D'après moi, l'administration actuelle est bien moins idéologisée et vise bien plus un résultat concret qui, je pense, avec une telle approche, sera bien plus significatif et conséquent.