Des soldats ukrainiens, près de la ville de Moukatchevé le 13 juillet 2015 (AFP/ALEXANDER ZOBIN) |
Tirs au lance-grenades, voitures de police calcinées, ultranationalistes armés repliés dans les montagnes : les scènes de guerre qui ont touché une petite ville ukrainienne près de la frontière avec l'UE affaiblissent les autorités pro-occidentales de Kiev, déjà confrontées à un sanglant conflit dans l'Est.
Le président Petro Porochenko a demandé aux forces de l'ordre de désarmer "les groupes armés illégaux" qui "déstabilisent la situation à 1.000 km du front de l'Est" au cours d'une réunion de son "cabinet de guerre" convoquée deux jours après une fusillade meurtrière entre les forces de l'ordre et des militants lourdement armés du mouvement ultranationaliste Pravy Sektor (Secteur Droit) à Moukatchevé, à 50 km des frontières slovaque et hongroise.
Cette crise, qui a choqué l'opinion publique en Ukraine, est loin d?être réglée.
Sur le terrain, les soldats du ministère de l'Intérieur traquaient à bord de blindés les ultranationalistes qui se sont retranchés dans les montagnes avec leurs armes de guerre et refusent de se rendre, faisant fi de l'ordre présidentiel, a constaté un photographe de l'AFP sur place.
Plusieurs manifestations antigouvernementales et en soutien à Pravy Sektor ont été organisées dimanche dans plusieurs grandes villes d'Ukraine, avec la menace ouverte de bloquer les routes afin d'empêcher l'arrivée de renforts de police à Moukatchevé.
Du "chantage", estime l'analyste politique indépendant Volodymyr Fessenko, qui juge néanmoins les membres de cette puissante organisation paramilitaire "capables de déclencher un conflit armé à l'intérieur du pays".
- 'État extrêmement faible' -
"Nous avons un État extrêmement faible, dont le fonctionnement peut être entravé par une quinzaine de personnes", confie à l'AFP sous couvert de l'anonymat un haut responsable ukrainien chargé des questions de sécurité.
Si un banal conflit lié au trafic illégal de cigarettes entre deux personnalités politiques régionales pourrait avoir été à l'origine de la fusillade, celle-ci est révélatrice des problèmes auxquels est confrontée l'Ukraine.
"Les affrontements à Moukatchevé témoignent d'une crise systémique : réformes inexistantes, corruption omniprésente et flux d'armes incontrôlé", souligne Anatoli Oktyssiouk, analyste du centre des études politiques à Kiev.
Le recours à des armes de guerre aux portes de l'UE pour régler un conflit de cette nature semble aussi constituer un mauvais présage pour un rapprochement entre l'Ukraine et l'Union européenne et l'introduction d'un régime sans visas, déjà à maintes reprises repoussée.
S'y ajoute le problème du retour à la vie civile des volontaires qui combattent depuis plus de quinze mois aux côtés des troupes ukrainiennes contre les séparatistes prorusses, dans un conflit qui a fait plus de 6.500 morts.
"Il y a actuellement en Ukraine beaucoup d'hommes armés qui se considèrent comme des héros et tentent de prendre le pouvoir avec leurs fusils", estime la source chargée des questions sécuritaires.
Pravy Sektor, qui revendique 10.000 militants et plusieurs centaines de combattants dans l'Est, est l'unique formation paramilitaire ukrainienne qui ne soit intégrée ni au ministère de l'Intérieur, ni à celui de la Défense.
Leur chef, Dmytro Iaroch, a été élu député en octobre puis nommé en avril conseiller du chef de l'état-major des armées ukrainiennes dans une tentative des autorités d'intégrer ses milices.
Il s'est rendu à Moukatchevé et a affirmé lundi "oeuvrer avec les services de sécurité ukrainiens à stabiliser la situation".
- Un mouvement 'incontrôlable' -
Pravy Sektor revendique l'héritage controversé des nationalistes ukrainiens qui ont combattu pendant un temps aux côtés des nazis contre "l'occupation soviétique" pendant la Deuxième guerre mondiale, ce qui lui vaut d'être qualifié de "fasciste" par les médias publics russes et les habitants des régions prorusses de l'est de l'Ukraine.
Le mouvement avait acquis une grande popularité auprès des manifestants sur le Maïdan à Kiev en radicalisant la contestation qui s'est soldée au bout de trois mois par un bain de sang et a entraîné la chute du régime prorusse de Viktor Ianoukovitch.
Aujourd'hui, "Pravy Sektor est devenu pratiquement incontrôlable. Si le conflit n'est pas réglé de façon diplomatique, il y aura des risques pour le pouvoir à Kiev avec des conséquences imprévisibles", estime l'expert Anatoli Oktyssiouk.
Ces dernier événements rappellent un autre bras de fer qui a eu lieu en mars entre le président Porochenko et Igor Kolomoïski, oligarque aux méthodes douteuses qui avait néanmoins réussi à stopper en tant que gouverneur les élans séparatistes de la région de Dnipropetrovsk, frontalière de la zone des troubles dans l'est, en finançant des bataillons de volontaires.
Il avait été limogé après une opération de type paramilitaire qui avait vu des hommes armés apparemment liés au milliardaire pénétrer dans les locaux de groupes publics pétroliers à Kiev dont il revendiquait le contrôle.
Source : Le Parisien
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