Interview du Ministre russe des Affaires étrangères Sergueï
Lavrov pour l'émission d'Eveline Zakamskaïa, "Mnenie" ["Opinion"] sur la chaine Rossiya 24, Moscou, le 27 avril
2015 :
Question: L'humanité est confrontée aujourd'hui à des défis, des problèmes et des risques qu'une nation ou un pays ne peuvent surmonter seuls. Au Népal, le tremblement de terre qui a entraîné des milliers de victimes n'en est que l'une des nombreuses preuves, malheureusement. Il y a 70 ans, lors de la conférence de San Francisco, le monde civilisé a créé l'Organisation des nations unies, une institution destinée à prévenir et à surmonter les catastrophes humanitaires, naturelles et militaires. Aujourd'hui, le caractère immuable des principes internationaux constituant la base de l'Onu est remise en question et doit être défendue. Que pensez-vous de la réserve de résistance de l'Onu et du rôle de cette institution dans le monde contemporain?
Sergueï Lavrov: Je pense que sa réserve de résistance est très solide. Les pères fondateurs ont été très prévoyants quand ils ont posé les principes fondamentaux de la Charte de l'Onu: avant tout, l'indépendance des États, leur égalité souveraine, la non-ingérence dans les affaires intérieures, le droit de décider de leur propre sort, le règlement pacifique des litiges. Aujourd'hui, aucun État ne remettra en cause la vitalité de ces vérités éternelles.
D'un point de vue général, l'Organisation a été créée pour empêcher une troisième guerre mondiale, et je suis persuadé qu'elle a atteint son objectif – nous n'avons pas le sentiment qu'une telle guerre soit possible en principe. Mais vous avez parfaitement raison: les risques et les défis actuels qui se dressent face à l'humanité sont tels qu'ils étaient difficile à prévoir au moment de la création de l'Onu. Mais ils nécessitent d'autant plus d'unir nos efforts. Vous avez cité l'exemple des catastrophes naturelles. Malheureusement, il existe aussi plusieurs catastrophes anthropiques que pratiquement aucun pays ne pourrait maîtriser seul. Il y a le terrorisme international, qui est devenu un mal mondial, alimenté par le crime organisé et notamment le trafic de drogues. Il y a des épidémies, le terrorisme, le trafic de stupéfiants qui ne connaissent pas de limites, il existe des problèmes de sécurité alimentaire, quand on observe un excès alimentaire dans certaines régions de la planète et une forte pénurie dans d'autres. Il est impossible de régler tous ces problèmes sans l'Onu. Cette organisation n'est pas unique seulement de par sa légitimité et sa Charte, qui ont prouvé sa raison d'être, mais aussi de par la structure de ses institutions et établissements spécialisés dans pratiquement chaque domaine de la vie humaine. Ses fondations et programmes contribuent à régler les problèmes de la maternité et de l'enfance, de la santé, de la nourriture et du développement industriel. L'Onu coordonne tous ces processus et dispose d'une capacité unique d'élaborer des stratégies englobant les tâches politiques, économiques, sociales et en matière de droits de l'homme. Sachant qu'il ne s'agira pas d'une stratégie simple, mais d'un véritable programme pour la réalisation duquel il existe déjà un réseau sophistiqué d'institutions coordonnées.
Les activités prévues cette année à l'occasion du 70e anniversaire de l'Onu comprennent, hormis les discussions politiques générales, le Sommet mondial sur toutes les questions préoccupant l'humanité, le sommet spécial pour la stratégie de développement global après 2015, qui posera les bases des actions collectives dans tous ces domaines.
Question: D'après vous, se souvient-on aujourd'hui du rôle réunificateur de l'Onu et d'autres institutions qui peuvent servir pour le bien de l'humanité, au moment où les représentants des services de divers pays sortent des corps et des blessés des décombres au Népal?
Sergueï Lavrov: Je suis persuadé qu'on se souvient de ce rôle parce que l'Onu participe activement aux efforts internationaux pour surmonter les conséquences de ce drame. Malheureusement, pendant une certaine période les autorités népalaises ont dû interrompre l'accueil des avions d'aide humanitaire avec des sauveteurs de nombreux pays à leur bord pour permettre aux avions de ligne de quitter l'aéroport, afin que les gens puissent rentrer chez eux le plus vite possible. Cette opération se déroule de manière coordonnée. On ne parvient pas à tout faire dans l'immédiat compte tenu des conditions naturelles et de l'effet dévastateur du tremblement de terre, y compris pour les moyens de communication – de nombreux relais de transmission ont été détruits. Les problèmes sont nombreux, mais je suis persuadé que nous surmonterons cette catastrophe et aiderons nos amis népalais, comme l'a souligné le Président russe Vladimir Poutine en exprimant ses condoléances au gouvernement du Népal.
Question: Selon vous, quelles réformes seraient pertinentes aujourd'hui à l'Onu et sont-elles possibles sans que la Russie perde son rôle au sein de cette institution?
Sergueï Lavrov: Sans perdre le rôle de la Russie, sans saper les principes fondamentaux dont nous avons parlé et qui sont fixés dans la Charte de l'Onu, ainsi que le caractère interétatique de l'Onu. On tente de l'éroder périodiquement en faisant appel de manière unilatérale à des structures non-gouvernementales controversées avec lesquelles il faut, certes, coopérer (la société civile est une grande source d'idées et d'initiatives), mais c'est aux États de prendre les décisions au sein de l'Organisation. Les réformes sont toujours nécessaires. On peut parler de perfectionnement ou de leçons apprises, mais aucune structure ne peut exister de manière figée. L'Onu s'est réformée: le Conseil de sécurité s'est élargi, de nouveaux mécanismes sollicités par l'époque ont été créés. Par exemple le maintien de la paix, qui n'est pas fixé dans la Charte, mais reflète la nécessité de régler pacifiquement les litiges et de contribuer à un tel règlement. Ce principe (disposition de la Charte) est à la base de la création du maintien de la paix comme institution. L'Onu a rapidement compris que quand les pays sortaient d'un conflit et trouvaient un accord qu'il fallait "surveiller" dans le cadre d'une opération de maintien de la paix, se posait la question du rétablissement des économies et de l'infrastructure détruites. Une structure spéciale a été créée: la Commission de consolidation de la paix qui appuie les efforts de paix dans les pays sortant d’un conflit et contribue au rétablissement de la vie normale. Actuellement, tout le monde parle de la réforme du Conseil de sécurité des Nations unies. On fait avant tout référence à cet aspect des transformations. On en parle depuis longtemps – la réforme du Conseil est à l'ordre du jour de l'Assemblée générale depuis vingt ans, je crois.
Notre position est très simple. Bien évidemment, le Conseil de sécurité des Nations unies est un organisme central, ses décisions sont obligatoires, c'est pourquoi il faut aborder les changements dans ses méthodes de travail et dans sa composition avec beaucoup de prudence. Une décision doit être prise: les pays émergents ne sont pas suffisamment représentés au Conseil de sécurité. Après la création de l'Onu sont apparus de nouveaux centres puissants de croissance économique et d'influence politique – l'Inde et le Brésil parmi bien d'autres. Le Continent africain doit être représenté à juste titre au Conseil de sécurité des Nations unies. Mais cet élargissement ne peut être trop important: il faut assurer un équilibre raisonnable entre la représentation juste de toutes les régions, d'une part, et la capacité à travailler opérationnellement et efficacement. Il existe évidemment une limite, derrière laquelle l'élargissement gênerait la prise rapide de décisions. Dans l'ensemble, toute réforme doit s'appuyer sur un grand consensus, sur l'accord de tous les États membres. Les tentatives d'imposer des décisions fatidiques par le vote quand deux tiers seront pour et un tiers protestera réduira la légitimé du Conseil de sécurité aux yeux de ce tiers, qui a hypothétiquement perdu le vote sur la résolution pour l'élargissement du Conseil de sécurité des Nations unies qui ne lui convient pas. Ceux qui ne veulent pas aujourd'hui forcer de telles décisions unilatérales sont des États respectés, généralement moyens, mais qui apportent une contribution financière et matérielle importante à la réalisation des programmes de l'Onu. Il aident également avec leurs casques bleus .
Le principal problème aujourd'hui est la présence d'un groupe d’États qui exigent la création obligatoire de nouveaux sièges permanents et prétendent les occuper, ainsi que d'un autre groupe qui s'oppose catégoriquement à l'apparition de nouveaux membres permanents au Conseil de sécurité des Nations unies. Seul un compromis est possible. Plusieurs idées sont avancées à ce sujet, visant à "marier" les deux positions. Nous contribuons par tous les moyens au consensus parce que, comme je l'ai déjà dit, l'adoption de telles décisions par un "vote de confrontation" pourrait être néfaste pour l'Onu. Je le répète: toute réforme doit obligatoirement réaffirmer les principes fondamentaux de la Charte de l'Onu et, de préférence, installer des barrières contre toute tentative de les enfreindre en utilisant la force unilatéralement ou en interprétant de manière déformée les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies. Nous ne voulons pas d'une nouvelle Yougoslavie, qui a été bombardée en bafouant toutes les normes de la Charte de l'Onu; ni d'un nouvel Irak, qui a été occupé sans aucune autorisation du Conseil de sécurité des Nations unies; ni d'une nouvelle Libye, où a été déclenchée une guerre pour renverser le pouvoir en place se référant à une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies qui ne prévoyait rien de tel.
Question: Quand, selon vous, pourrait commencer l'étape active des réformes et jusqu'où pourraient-elles aller? Est-ce que cela concernera le Conseil de sécurité des Nations unies?
Sergueï Lavrov: Je ne peux pas dire quand se termineront les réformes. C'est un processus permanent et depuis les années de discussions sur la réforme du Conseil de sécurité des Nations unies, ce dernier a déjà connu des changements significatifs. Son travail est devenu plus transparent. Par exemple, on a introduit un dispositif de coopération avec les pays non membres du Conseil de sécurité des Nations unies, comme la réunion de ses membres avec les États représentant les contingents pour les opérations de maintien de la paix. Ils participent à l'examen des mandants de ces opérations et des changements à y apporter. Une pratique très intéressante a été mise en place entre le Conseil de sécurité des Nations unies et l'Union africaine sur la préparation des opérations de maintien de la paix en Afrique. Plusieurs opérations sont mixtes: les Africains allouent leurs contingents, d'autres pays en font autant et l'Onu assure la supervision générale.
Il y a beaucoup de changements. La pratique des réunions ouvertes du Conseil de sécurité des Nations unies - auxquelles peuvent participer tous les États de l'Onu hormis les 15 pays membres - se répand.
En ce qui concerne le nombre de pays siégeant au Conseil de sécurité, je pense qu'ils doivent être une vingtaine pour qu'il reste fonctionnel.
Question: Depuis un an, la Russie mène une rude guerre défensive sur le front médiatique et diplomatique. Il faut défendre ses positions sur diverses plateformes internationales. En faisant la somme de ce qui s'est produit, quels sont les exploits de la diplomatie russe d'après vous?
Sergueï Lavrov: La diplomatie n'est en guerre contre personne. Son art consiste à trouver une entente pour qu'elle assure un équilibre des intérêts. C'est juste et honnête. Le Président russe Vladimir Poutine a souligné à plusieurs reprises, y compris lors de la "Ligne directe" à la télévision, que nous étions prêts à coopérer avec tous les pays sur une base équitable de recherche d'équilibre des intérêts.
Parmi ce qui s'est passé depuis un an ou deux: pour commencer nous avons réussi à attirer l'attention sur la nécessité de respecter les principes du droit international dans leur ensemble, y compris le droit des peuples à l'autodétermination également fixé dans la Charte de l'Onu. Nous avons fait l'objet d'une campagne économique et financière sans précédent dans le but de faire pression sur la Russie, mais aussi de propagande médiatique dans le pire sens du terme. Cet objectif a été clairement annoncé – isoler la Russie. Mais en vain. Notre patience, notre confiance en nous, le rejet des tentatives de nous sanctionner pour la vérité parce que nous voulons la justice et n'abandonnons pas nos compatriotes, notre position et notre ténacité sont un grand exploit. Ceux qui ont lancé cette campagne commencent à comprendre qu'elle est vouée à l'échec.
Parmi d'autres questions pertinentes, je noterais le succès du désarmement chimique de la Syrie, l'accord-cadre politique sur le programme nucléaire iranien, qui sera traduit dans la langue d'un accord juridiquement contraignant. Un autre succès est le renouvellement de l'intérêt en Syrie pour l'établissement du dialogue politique entre le gouvernement et l'opposition. La Russie et la Chine, ainsi que certains autres pays ont été les rares à prôner une solution politique depuis plus de quatre ans. On a tenté de nous faire passer pour des "complices du régime", on disait que son renversement apaiserait le peuple syrien. Mais je pense que l'irrecevabilité de cette solution est désormais claire pour tout le monde. Le processus est en cours – c'est un travail diplomatique normal, et nous ne le faisons pas pour vaincre quelqu'un mais pour que le monde soit stable. Nous voulons que partout dans le monde, avant tout dans les régions avec lesquelles nous avons des liens de longue date, la situation soit stable, calme, que les conditions soient favorables pour le développement des échanges commerciaux, économiques et culturels mutuellement bénéfiques, ainsi que pour le dialogue politique.
Question: Nous avons besoin de la paix, mais êtes-vous sûr que nos partenaires soient du même avis? Que faire? Comment trouver un compromis?
Sergueï Lavrov: Parfois on a des doutes, on a l'impression que pire c'est mieux: c'est le principe que certains de nos collègues cherchent à appliquer. A peine après avoir détruit la Libye, sans aucun remord ils essaient de nous demander de l'aide pour éliminer les conséquences provoquées par l'action de l'Otan dans ce pays. L'une d'elles: les immigrants clandestins qui fuient actuellement ce pays, ce qui pose de plus en plus problème à l'Europe. Il est proposé de soulever cette question au Conseil de sécurité des Nations unies pour qu'il octroie aux pays de l'UE le mandat pour prendre des mesures afin d'empêcher le flux migratoire illégal en provenance d'Afrique du Nord, essentiellement de Libye. Bien évidemment, nous étudierons ce problème, il faut faire quelque chose. Mais il est important de ne pas prendre de décisions qui pourraient être mal interprétées dans la pratique et entraîner une nouvelle effusion de sang. Bien évidemment, il est important pour nous que la Libye se rétablisse. Dans ce pays il existe aujourd'hui deux gouvernements, deux parlements. Bernardino Léon, représentant spécial du Secrétaire général de l'Onu pour la Libye, tente d'organiser un processus de négociations - qui avance difficilement. Le Yémen se trouve à proximité. Dans ce pays, malgré l'annonce de la fin des bombardements des positions contrôlées par un mouvement représentant un tiers de la population, l'opération militaire se poursuit.
Les problèmes sont nombreux, et nos partenaires prennent de plus en plus conscience de la nécessité d'agir de concert.
Question: On a parfois l'impression que quand les partenaires regardent dans des directions opposées, ils cherchent à se causer des problèmes. Vous avez mentionné le Yémen. Avez-vous noté la déclaration du Secrétaire d’État américain concernant l'évacuation de citoyens américains du Yémen?
Sergueï Lavrov: Je laisserai ça sur leur conscience. Nous avons évacué à bord de nos navires et avions pratiquement tous ceux qui le souhaitaient. Sur l'ensemble (plus de 1 500 personnes), il y avait près d'un tiers de Russes, les autres étaient des étrangers. Nous n'avons pas fait de différence. La Russie a évacué des Américains, des Ukrainiens, des Biélorusses, des Kazakhs, des citoyens de pays du Moyen-Orient. Je ne sais pas comment s'explique cette "gêne" dans les commentaires du Département d’État américain et de certains de nos voisins. Nous avons agi en partant de notions humanitaires – nous avons sauvé des gens.
Question: Est-ce que quelque chose change dans les positions des USA et de l'UE par rapport à la crise en Ukraine, qui est devenu le début des épreuves pour la Russie sur l'arène internationale ces dernières années?
Sergueï Lavrov: On prend de plus en plus conscience du fait que le gouvernement ukrainien "freine" l'accomplissement de ses engagements. Il est très difficile d'interpréter de manière erronée les accords de Minsk du 12 février: ils sont très clairs et stipulent les démarches à entreprendre par les parties, ainsi que leur déroulement. Il devient de plus en plus flagrant pour tous que les autorités de Kiev enfreignent ce processus, cherchent de nouveau à tout mettre sens dessus dessous et interprètent le fond de chaque démarche à leur manière. Je n'énumérerai pas tous les points qui suscitent de nombreuses questions à cause de la position de Kiev. Mais la position du gouvernement ukrainien se réduit au refus de s'entendre directement avec Lougansk et Donetsk, alors que c'est prévu par les accords de Minsk du 12 février.
Nous appelions et appelons toujours, avant tout nos partenaires allemands et français qui ont participé à Minsk avec nous à l'élaboration des accords signés ensuite par le Groupe de contact, à influer sur le gouvernement de l'Ukraine pour qu'il cesse de saboter l'accomplissement de ses engagements politiques. J'en parlais avec mon homologue John Kerry. Il me semble qu'ils comprennent ce qui se passe mais prennent des décisions un peu étranges, qui cachent une tentative de "justifier" les actions des autorités ukrainiennes et de présenter la situation comme si l'accomplissement des accords de Minsk ne dépendait que de la Russie.
A la réunion du Conseil européen de l'UE le mois dernier, il a été décidé que les accords de Minsk devaient être mis en œuvre. Quand ils seront remplis, l'UE lèvera alors les sanctions contre la Russie. Il n'est pas dit directement que Kiev ne doit pas faire d'efforts pour remplir les accords de Minsk, mais ils sont associés uniquement aux actions de Moscou, tandis que la Russie n'est pas une partie du conflit. Nous faisons certainement plus que tous les autres pour rétablir une vie normale dans l’État ukrainien grâce au dialogue politique, au règlement des problèmes économiques et à l'aide humanitaire. La situation est très grave dans le Donbass.
Nos partenaires de Kiev disent périodiquement: "Essayez de convaincre Lougansk et Donetsk d'accepter l'aide humanitaire du gouvernement ukrainien". Lougansk et Donetsk répondent: "Nous subissons un blocus économique, les retraites et les prestations sociales ne sont pas versées, notre population civile en souffre – les vieillards, les femmes et les enfants". Maintenir le blocus avec une main et proposer des produits humanitaires de l'autre – ce n'est pas sérieux. Et il y a beaucoup d'autres exemples, y compris le plus important: la réforme constitutionnelle. La décentralisation politique, économique, financière et culturelle – tout cela est décrit point par point dans les accords de Minsk, qui prescrivent les démarches à entreprendre en ce sens. Les auteurs des "décryptages" sont l'Allemagne et la France. Le processus constitutionnel doit impliquer une concertation avec Lougansk et Donetsk sur les amendements à la Constitution ukrainienne concernant ses territoires. Une commission constitutionnelle a été formée auprès du président, sans aucun représentant de Lougansk ou de Donetsk. Nous posons ces questions à l'OSCE, au Conseil de l'Europe, qui s'était proposé pour aider à écrire la nouvelle Constitution et les amendements à la Constitution actuelle, ainsi qu'à nos partenaires européens et américains. Il leur est de plus en plus difficile de se dérober.
Question: Qu'arrivera-t-il après le conflit en Ukraine? Certains pensent que les dispositions russophobe et prooccidentale divisaient auparavant le pays en deux parties. Aujourd'hui cette ligne de démarcation s'approche de la Russie. Nos partisans deviennent de moins en moins nombreux. Ne pensez-vous pas qu'après ce conflit nous nous retrouverons avec un voisin encore plus agressif qu'à l'époque de Viktor Iouchtchenko, quand on soutenait activement les sentiments russophobes?
Sergueï Lavrov: Le Président russe a déclaré plusieurs fois que personne ne nous brouillerait avec la nation ukrainienne. Le coup d’État anticonstitutionnel en Ukraine et l'arrivée au pouvoir des forces ultra radicales, qui dictent pour l'instant "leurs règles" dans la mesure qu'on connaît et qui ont été surnommées "parti de la guerre", ne changent rien à cela.
J'ai de nombreux amis ukrainiens. Nous communiquons régulièrement et je sais ce qu'ils ressentent. Bien sûr, ils sont très inquiets. Mais je ressens également dans les contacts avec eux qu'ils ne partagent pas l'ultra-radicalisme et "ne se font pas avoir" par les tentatives de semer la discorde. Le parlement ukrainien adopte des lois à tout bout de champ (notamment sur la décommunisation, appelant à détruire les symboles et à interdire le port public des rubans de Saint-Georges, des récompenses remportées par les vétérans au prix de leur sang pendant la Grande Guerre patriotique). Dans le même temps est adoptée une loi faisant des complices des nazis condamnés par le tribunal de Nuremberg des "combattants pour l'indépendance". Cette loi a été adoptée lors de la visite à Kiev du Président polonais Bronislaw Komorowski. Tous ceux qui s'intéressent un peu à l'histoire de la Seconde Guerre mondiale connaissent le massacre de Volhynie, quand les combattants de l'Armée insurrectionnelle ukrainienne ont exterminé des dizaines de milliers de Polonais. De retour à Varsovie, Bronislaw Komorowski a fait une déclaration sur le caractère inadmissible de telles décisions. Mais je le répète, sciemment ou non, l'adoption de cette loi a coïncidé avec sa visite en Ukraine.
Je n'ai pas le sentiment qu'à l'issue de ce drame ukrainien nous abandonnerons nos positions et renoncerons au soutien de nos compatriotes. Tout ce que nous faisons aujourd'hui, tout ce que fait le Président (qui a initié les accords de Minsk du 12 février) vise à conserver l'Ukraine comme un État uni à condition que les Ukrainiens arrivent à s'entendre sur la coexistence pacifique et en sécurité des régions de ce pays très différentes, sur le plan culturel, civilisationnel et linguistique. J'ai déjà dit que le Donbass ne célébrerait jamais les nouvelles dates instaurées par le gouvernement ukrainien, qui glorifient Choukhevitch, l'Armée insurrectionnelle ukrainienne, et le fait que Lvov ne portera jamais le ruban de Saint-Georges (dans le dernier cas il est question de la majorité). C'est pourquoi il n'est possible d'appliquer des cultures, des systèmes de valeurs et des modes de vie aussi différents qu'à travers le dialogue. Le principal dans notre position est d'arriver au dialogue direct entre Kiev, Lougansk et Donetsk. Le Président russe Vladimir Poutine en parle régulièrement lors de ses contacts avec le Président Petro Porochenko. Nous espérons que les Ukrainiens prendront conscience du caractère nuisible de toute autre approche.
Question: Est-ce que l'acceptation ou le refus de participer aux festivités qui se dérouleront à Moscou à l'occasion du 70e anniversaire de la Victoire de la part des dirigeants étrangers est, selon vous, un indicateur de la place de la Russie dans l'histoire moderne?
Sergueï Lavrov: Personne ne peut prendre à la Russie sa place dans le monde contemporain. Il y avait de tels risques après l'effondrement de l'Union soviétique, mais tout cela est derrière nous, tout comme les tentatives de nous rendre assistés ou incapables de régler nos propres problèmes, de diviser la Russie en entités plus réduites. D'ailleurs, nous savons qu'elles ont eu lieu – le Président russe en a parlé dans de nombreuses interviews. La disposition de notre peuple, y compris en prévision de l'anniversaire de la Victoire, en est la meilleure preuve.
Notre ligne sur l'arène internationale ne vise pas, comme certains le prétendent, à voler la victoire aux autres. On cherche à nous la voler alors que nous soulignons en permanence la nature multiethnique de cette guerre: le rôle de l'Union soviétique, qui a apporté une contribution décisive, et de la coalition dans laquelle ont héroïquement combattu des Américains, des Britanniques, des Français et bien d'autres citoyens de pays alliés, ainsi que les combattants de la Résistance. C'est notre fête.
En ce qui concerne les réactions aux invitations, qui ont été envoyées aux chefs d’État et de gouvernement, je n'en ferais pas un grand problème. Certains ont refusé pour des raisons idéologiques, cherchant à manipuler cette journée sacrée dans leur ligne pour retenir et isoler la Russie. D'autres ont été menés à la bride des premiers ou ont eu peur. Cela ne change rien à ce que cette fête représente pour nous tous.
Question: Je vous remercie et vous souhaite de bonnes fêtes!
Sergueï Lavrov: Pareillement, joyeuse fête de la Victoire à vous!
Source russe : LIEN
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