dimanche 1 mars 2015

Armer les forces ukrainiennes, cela signifie armer qui ? Par Glenn Greenwald

 
Photo: Sergei Chuzavkov/AP
Il est facile d'oublier qu'il y a deux ans à peine, le président Obama était déterminé à bombarder la Syrie et à supprimer le régime d'Assad, et les institutions de l'establishment américain travaillaient à jeter les bases de cette campagne. Le NPR [Groupe public de propagande info US-NdT] avait aussitôt commencé la consciencieuse publication de rapports écrits par des responsables américains anonymes affirmant que la Syrie avait stocké de grandes quantités d'armes chimiques; le NYT rapportait qu'Obama augmentait l'aide aux rebelles et redoublait d'efforts pour rallier une coalition de pays aux vues similaires dans le but de faire tomber Assad par la force ; le Secrétaire d'État John Kerry décrétait que le retrait du pouvoir d'Assad était "une affaire de sécurité nationale" et "une question de crédibilité pour les États-Unis d'Amérique."


Ceux qui s'opposaient à cette campagne de bombardement de "changement de régime" anti-Assad ont fait valoir que si certaines parties de la rébellion était composées de Syriens ordinaires, les "rebelles" que les Etats-Unis auraient ainsi armés et renforcés (en fait, les seuls combattants anti-Assad efficaces) étaient en réalité des extrémistes violents et même des terroristes alignés sur Al-Qaïda voire pire encore. Les personnes qui contestent ainsi la campagne sont constamment représentés comme des apologistes d'Assad parce qu'ils utilisent le même argument qu'utilise Assad lui-même : que les combattants les plus efficaces contre lui sont les djihadistes et les terroristes.


Hors, à Washington, cet argument a été rapidement reconverti de "tabou" en "bon sens populaire" dès l'instant où il est devenu nécessaire pour justifier l'engagement américain en Syrie. Les États-Unis bombardent de fait maintenant la Syrie, bien sûr, mais plutôt que de se battre contre Assad, le dictateur syrien est (une fois de plus) l'allié et le partenaire de l'Amérique . La justification de la campagne de bombardement US est la même que celle qu'invoquait continuellement Bachar Al Assad : que ceux qui se battent contre lui sont bien pire que lui parce qu'ils sont sur la ligne d'Al Qaïda et ISIS (même si les US ont financé et armé ces factions pendant des années et si leurs alliés les plus proches dans la région continuent de le faire).


Une dynamique similaire est en jeu entre la Russie et l'Ukraine. Hier, le haut responsable de la sécurité nationale d'Obama, le directeur du renseignement national James Clapper, a déclaré à un comité du Sénat "qu'il soutient l'armement des forces ukrainiennes contre les séparatistes soutenus par les russes", comme le Washington Post l'a rapporté . Les États-Unis ont déjà fourni une aide "non létale" aux forces ukrainiennes, et Obama a dit qu'il envisage maintenant de les armer.


Mais qui, exactement, s'agit-il d'armer ?


Le président russe Vladimir Poutine prétend depuis longtemps que le coup d'état ukrainien de l'année dernière, et le régime qui s'en est suivi à Kiev, est piloté par des ultra-nationalistes, des fascistes, et même des factions néo-nazies. La chaine TV russe RT fait également souvent référence au "rôle actif que les groupes d'extrême-droite ont joué dans le camp pro-gouvernemental en Ukraine depuis le coup de force de l'année dernière."


Pour cette raison, n'importe qui voulant souligner qu'armer le régime de Kiev renforcerait des fascistes et des néo-nazis est immédiatement accusé d'être un propagandiste de Poutine : exactement comme ceux faisant valoir que les meilleurs combattants anti-Assad étaient affiliés à al-Qaïda ont été accusés d'être des propagandistes de Bachar (jusqu'à ce que ce soit devenu la position officielle du gouvernement des États-Unis). Les comptes rendus des médias américains représentent toujours le conflit en Ukraine comme une noble lutte menée par les démocrates pro-occidentaux épris de liberté de Kiev contre les oppresseurs séparatistes "soutenus par la Russie" agressifs de l'est.


Mais comme ce fut le cas en Syrie : même si certains de ceux qui étaient impliqués dans le coup d’état ukrainien étaient des ukrainiens ordinaires qui luttaient contre un régime corrompu et oppressif, ces allégations concernant les voyous fascistes menant la lutte pour le gouvernement de Kiev se sont avérées parfaitement vraies. Écrivant dans Foreign Policy depuis l'est de l'Ukraine en Août dernier, Alec Luhn observait :


Les forces pro-russes disent qu'elles se battent contre des nationalistes ukrainiens et des «fascistes» dans ce conflit, et dans le cas d'Azov et d'autres bataillons, ces affirmations sont pour l'essentiel vraies. . . Le Bataillon Azov, dont l'emblème comprend également le "Soleil Noir", symbole occulte utilisé par la SS nazie, a été fondé par Andreï Biletsky, le chef de l'Assemblée sociale-nationale et des patriotes d'Ukraine.


Vidéo de Vincent Parlier avec Andreï Biletsky, chef du Bat. Azov (S/T Fra.)

En Septembre, Shaun Walker a écrit dans le Guardian à propos de son expérience en immersion avec les forces pro-Kiev du régiment Azov, qu'il a appelé "la force la plus puissante et la plus fiable de l'Ukraine sur le champ de bataille contre les séparatistes." Tout en rejetant comme "exagérés" les avertissements russes selon lesquels ces groupes cherchent à nettoyer ethniquement l'ensemble de l'Ukraine, Walker a décrit "les penchants d'extrême droite, même néo-nazis, de plusieurs de ses membres," et a noté qu' "Amnesty International a appelé le gouvernement ukrainien à enquêter sur des violations des droits et des exécutions possiblement commises par Aïdar, un autre bataillon." La principale préoccupation de Walker était que ces milices fascistes aient l'intention, une fois les séparatistes vaincus, de chercher à prendre le contrôle de Kiev et à imposer leur vision ultra-nationaliste sur l'ensemble du pays.


Depuis que le coup d'Etat à Kiev a eu lieu, ces faits déplaisants concernant les forces pro-gouvernementales ont été largement ignorés dans la plupart des médias de l'establishment US, seulement signalés par une poignée de commentateurs. En Janvier de l'année dernière, alors que le coup d'état était en plein déroulement, Seumas Milne du Guardian a fait valoir que le récit moraliste occidental sur l'Ukraine - les combattants de la démocratie contre les oppresseurs de Poutine -. "n'est qu'une caricature de la réalité" ["bears only the sketchiest relationship to reality"-NdT], "des nationalistes d'extrême-droite et des fascistes ont été au cœur des manifestations et des attaques contre les bâtiments gouvernementaux". La chaîne TV britannique Channel 4 a rapporté le rôle central joué par les ultra-nationalistes d'extrême droite dans ce coup d’État, notant que le sénateur John McCain s'est rendu dans la capitale ukrainienne (photo ci-dessus) et a partagé la scène avec les pires éléments fascistes. Justin Raimondo d'Antiwar.com a depuis longtemps mis en garde contre "l'ascension d'un véritable mouvement fasciste de masse dans les allées du pouvoir à Kiev ", notant que loin d'être une poignée d'éléments marginaux, "les militants des deux principaux partis fascistes en Ukraine - Svoboda et «Secteur droit» - ont fourni le muscle nécessaire aux insurgés pour prendre d'assaut les bâtiments du gouvernement à Kiev et dans l'Ouest de l'Ukraine."


Ces faits sont depuis devenus si notoires que même les organisations occidentales les plus conventionnelles sont maintenant obligées de les signaler. La semaine dernière, Vox a publié un article d'Amanda Taub sur "environ 30 de ces armées privées qui se battent du côté ukrainien", dont "les combattants sont accusés de graves violations des droits de l'homme, y compris enlèvements, tortures et exécutions extrajudiciaires. "Tout en affirmant que ces milices opèrent en grande partie de façon autonomes du gouvernement central de Kiev, Taub note néanmoins à quel point elles sont devenues indispensables dans la lutte contre les séparatistes, et reconnaît aussi clairement leur utilisation par les fonctionnaires de Kiev :


Les milices ont également acquis plus de pouvoir parce que le gouvernement ukrainien, dirigé par le nouveau président Petro Porochenko, a placé leurs amis à des postes élevés. Par exemple, Arsen Avakov, ministre de l'Intérieur de Porochenko, était auparavant le chef du bloc politique de l'ancien Premier ministre Ioulia Timochenko en Ukraine orientale. Il a une alliance de longue date avec les membres du Bataillon Azov, une organisation d'extrême droite dont les membres sont connus pour leurs positions antisémites et leurs vues néo-nazies. Avakov a utilisé sa position pour soutenir le groupe, allant jusqu'à nommer Vadim Troyan, un chef adjoint d'Azov, comme chef de la police pour l'ensemble de la région de Kiev. Et le chef de file d'Azov, Andreï Biletsky, est maintenant un membre du parlement central.


The Intercept d'hier a publié des informations de Marcin Mamon [Voir l'analyse de Philippe Grasset - NdT] sur le rôle joué par les djihadistes dans le conflit au service du gouvernement central.


La propagande médiatique américaine a non seulement cherché à glorifier le régime de Kiev en gommant tous ces éléments, mais a aussi activement diabolisé les séparatistes comme étant un peu plus que des pions contrôlés par Poutine. En fait, comme l'écrit Max Seddon de BuzzFeed dans un excellent article depuis un bastion séparatiste en Ukraine orientale, ceux qui luttent contre Kiev ont une gamme de griefs importants contre le gouvernement ukrainien indépendamment de tout agenda Poutinien, incluant la violence contre les civils et un mépris de longue date pour les résidents de l'est :


Dans les zones précises que l'Ukraine se bat pour récupérer, un bombardement d'artillerie presque constant et un blocus économique paralysant ont durci les attitudes jusqu'au point de non-retour. Presque chaque jour, des bombardements prennent la vie des civils: la mère pour l'un, le mari, l'enfant pour un(e) autre. Et chaque jour, la réconciliation entre des millions de citoyens ukrainiens d'ici et le gouvernement ukrainien semble s'éloigner de plus en plus.


Quel que soit le reste de ces vérités, nous avons encore ici affaire à la fabrication par un gouvernement américain - comme toujours suivi par ses médias - d'une narrative morale manichéenne servant à justifier l'intervention des États-Unis et le militarisme. Tout comme les États-Unis ont passé des années à financer et armer les éléments extrémistes qu'ils prétendent précisément vouloir combattre - en Libye, en Syrie, et déjà bien avant cela en Afghanistan - armer les forces ukrainiennes serait donner le pouvoir à une équipe monstrueuse de fascistes et de sympathisants nazis purs et durs. Le coup d’État lui-même, que le gouvernement américain a soutenu, a presque certainement fait exactement cela.


On peut débattre pour savoir si armer ces voyous est un acte intentionnel ou un bug : il n'est guère rare pour les États-Unis d'armer et de soutenir en connaissance de cause des fascistes et autres tyrans assortis qui, selon eux, servent leurs intérêts (voir le texte de David Ignatius de ce matin selon lequel le dictateur égyptien, le Gen . Abdel Fata Sisi est tout aussi mauvais que Moubarak en matière de violations des droits de l'homme, mais les États-Unis doivent continuer obstinément de le soutenir afin qu'il préserve la "stabilité"). Mais au moins, quand les Etats-Unis sont au lit avec des régimes comme les Saoudiens ou les Egyptiens, la plupart des gens comprennent avec quel genre d'alliés ils couchent. Dans le cas de l'Ukraine, ces faits ont été presque entièrement exclus du discours dominant. Maintenant que le responsable officiel de la sécurité nationale d'Obama appelle expressément à l'armement de ces forces, il est essentiel que la vraie nature des alliés de l'Amérique dans ce conflit soit comprise.

G.Greenwald (trad. BDD)

Source : The Intercept

1 commentaire:

  1. Les EU sont la gangréne du monde depuis trop longtemps, je souhaite qu' ils soient descendu avec pertes et fracas de leur pied d' estalle!!!

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