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La campagne du gouvernement français, des grands médias et des
organisations influentes pour faire taire l’humoriste franco-camerounais
Dieudonné M’Bala M’Bala ne cesse de révéler une coupure radicale dans
la perception que les Français ont du comédien mais aussi sur d’autres
questions. |
Par Diana Johnstone
Le Blasphème en France laïque
La « mobilisation »
officielle, annoncée par le Ministre de l’Intérieur Manuel Valls à
l’Université d’Eté du Parti Socialiste en août dernier, se poursuit en
accusant le comédien d’utiliser ses spectacles pour semer la haine
contre les Juifs. Son geste de la « quenelle » (*) serait un « salut nazi renversé ».
Son public rejette ces accusations.
Probablement l’effet de la controverse
qui, jusqu’à présent, a été le plus significatif, est la prise de
conscience croissante du fait que la Shoah fonctionne comme religion
officieuse d’Etat en France.
Exprimant son commentaire sur l’affaire
le 10 janvier sur RTL, Eric Zemmour a tancé Valls pour avoir oublié la
liberté d’expression tout en se présentant comme un homme de gauche. « C’est
la gauche qui nous a appris depuis mai 68 qu’il est interdit
d’interdire, c’est la gauche artistique qui nous a enseigné qu’il
fallait choquer le bourgeois. C’est la gauche antiraciste qui a fait de
la Shoah la religion suprême de la République… ». Produit de la gauche, Dieudonné provoque, d’après Zemmour, la « bourgeoisie bien-pensante de gauche ».
Admettant que Dieudonné fait des plaisanteries "antisémites", Zemmour juge qu’il était « grotesque et ridicule de faire de M’bala M’bala un nostalgique du troisième Reich ». Le comédien, dit-il, « reproche
aux juifs de vouloir conserver le monopole de la souffrance et de voler
aux descendants des esclaves la primauté du malheur. »
Il y a d’autres enjeux de plus grande
portée. Rappeler la Shoah sert indirectement à justifier le
rapprochement toujours plus fort entre la France et Israël en ce qui
concerne la politique au Moyen Orient. Dieudonné s’est opposé à la
guerre contre la Libye au point de montrer sa solidarité en visitant le
pays sous les bombes de l’Otan.
Dieudonné a commencé sa carrière en tant
que militant antiraciste. Au lieu de s’excuser lors des protestations
contre son sketch de 2003 critiquant un « colon sioniste extrémiste »,
Dieudonné a, pendant les années qui suivirent, graduellement élargi la
sphère de ses parodies pour y inclure la Shoah elle-même. On peut voir
la campagne actuelle pour le faire taire comme un effort visant à
réaffirmer le caractère sacré de la Shoah en réprimant une forme
contemporaine de blasphème.
Comme s’ils voulaient confirmer cette
impression, le Parquet de Paris et le Mémorial de la Shoah ont conclu
une convention le 9 janvier selon laquelle tout auteur d’une infraction
antisémite âgé d’au moins 13 ans pourra désormais être condamné à
effectuer un stage de sensibilisation à l’histoire de l’extermination
des Juifs. L’étude des génocides est censée inculquer « les valeurs républicaines de tolérance et de respect pour autrui ».
Et si c’était le contraire de ce qu’il
faudrait faire ? Le Procureur de Paris ignore peut-être les jeunes qui
prétendent avoir subi trop, au lieu de pas assez, d’éducation sur la
Shoah ?
Exceptionnellement, un article du Monde
du 8 janvier a cité des opinions qu’on peut facilement entendre de la
part de jeunes, si l’on veut bien les écouter. Soren Seelow a
interviewé une dizaine de jeunes admirateurs de Dieudonné, issus de la
classe moyenne, politiquement modérés, souvent de gauche et qui se
défendent de tout antisémitisme. Ils font remonter la « sacralisation » de la Shoah à leurs cours d’histoire à l’école, dont ils gardent un souvenir pesant.
Nico, 22 ans, étudiant en droit à la Sorbonne, qui vote à gauche, rappelle : « On
nous en parle depuis la primaire… A 12 ans, j’ai vu un film où des
tractopelles poussaient des cadavres dans des fosses. Nous subissons une
morale culpabilisatrice dès le plus jeune âge. » Etudiant en master en langues, Guillaume, également âgé de 20 ans, se plaint : « La Shoah, on en a mangé jusqu’à la terminale. Je respecte ce moment de l’histoire, mais pas plus que d’autres. »
En plus des cours, certains professeurs
organisent des commémorations, des pèlerinages à Auschwitz. Les
articles, les films, les documentaires sur la Shoah remplissent les
loisirs.
De très nombreux messages reçus de
Français, ainsi que de nombreuses conversations, me convainquent que
pour beaucoup de personnes nées quelques décennies après la défaite du
nazisme, la mémoire de la Shoah est ressentie comme une invitation à la
culpabilité, ou, pour le moins, à un sentiment de malaise en ce qui
concerne des crimes qu’ils n’ont pas commis. L’exigence de solennité
obligatoire peut imposer un silence gêné. On accueille alors le rire
comme une libération.
Mais pour d’autres, un tel rire est une abomination.
Les condamnations de Dieudonné,
résultant de procès entamés en général par la LICRA, telle une amende de
8.000 euros pour la chanson Shoananas, s’accumulent, pour le
stigmatiser, et, en fin de compte, pour le ruiner financièrement.
“La Haine”
Dans le chœur politico-médiatique, on
entend souvent que Dieudonné n’est plus un humoriste, mais tient plutôt
des meetings politiques pour répandre « la haine ». Même le lointain New Yorker l’accuse d’être un médiocre comédien qui doit sa carrière à la diffusion de la « haine ». Cette allégation évoque des images très éloignées de ses spectacles ou de leurs conséquences.
On n’observait aucune haine parmi les
milliers de spectateurs abruptement privé du spectacle pour lequel ils
avaient payé leur place à Nantes le 9 janvier, suite à une décision du
Conseil d’Etat confirmant le désir du Ministre Valls de l’interdire.
Personne ne se plaignait de rater les frissons d’un meeting nazi.
Personne ne voulait partir mener des rafles contre des juifs. Tout le
monde regrettait de ne pas pouvoir passer une soirée de bonne humeur et
de rires. Comme d’habitude, les spectateurs étaient un mélange de jeunes
Français, généralement issus des classes moyennes. Le spectacle fut
interdit pour éviter un « trouble immatériel de l’ordre public ». Le public déçu se dispersa paisiblement. Aucun des spectacles de Dieudonné n’a jamais troublé l’ordre public.
Mais il n’y a aucun doute sur la haine virulente des adversaires de Dieudonné à son égard.
Le journaliste Philippe Tesson s’exclama sur Radio Classique : « Ce type, sa mort par un peloton de soldat me réjouirait profondément ! », avant d’ajouter que « c’est une bête immonde, donc on le supprime. C’est tout ! »
Au cours d’une leçon de théologie
diffusée par internet, le rabbin Rav Hai Dynovisz, hostile à la théorie
d’évolution de Darwin, « admettait » que la personne de Dieudonné avait montré que « certaines » personnes ont dû descendre des gorilles.
Deux adolescents âgés de 17 ans furent expulsés de leur lycée pour avoir fait le geste de la quenelle, accusés d’apologie de « crimes contre l’humanité ». Le magazine électronique franco-israélien JSSnews enquête sur l’identité de personnes ayant fait la quenelle dans le but de les faire renvoyer par leurs patrons.
Les propriétaires du petit théâtre
parisien loué jusqu’à 2019 par Dieudonné, La Main d’Or, seraient revenus
d’Israël en exprimant leur intention de l’en expulser.
Que je sache, la pire chose que
Dieudonné ait dit sur scène fut une insulte personnelle proférée contre
l’annonceur de radio Patrick Cohen. Celui-ci avait insisté longuement
dans une émission de télévision que les organisateurs de débats
télévisés devraient s’interdire d’inviter des « cerveaux malades »
comme Dieudonné et Tariq Ramadan. Fin décembre, lorsque la campagne
anti-Dieudo battait son plein, la télévision française (qui en effet ne
l’invite plus depuis un moment) a diffusé une « vidéo volée » du comédien disant que, lorsqu’il entendait parler Patrick Cohen, il pensait aux « chambres à gaz… dommage… »
Cette malheureuse sortie en réplique aux attaques virulentes contre sa
personne fut naturellement saisie par tous ses adversaires comme
typique du contenu de ses spectacles.
Que cela plaise ou non, l’irrévérence
est l’outil principal des comiques qui se produisent en solo. Les
allusions à la Shoah de la part de Dieudonné appartiennent à cette
catégorie.
Dès qu’il s’agit d’autre chose que de l’Holocauste, il ne manque pas d’irrévérence en France.
Les religions traditionnelles, ainsi que
des personnalités en vue, n’échappent pas aux caricatures dont la
nature scatologique fait paraître la quenelle comme excessivement prude.
En octobre 2011, la police parisienne a dû intervenir pour protéger,
contre l’action de catholiques traditionnels indignés, une pièce
d’avant-garde dans laquelle on faisait semblant de verser des excréments
sur le visage de Jésus. Tout l’establishment politico-médiatique
défendit la pièce, sans se soucier du fait que certains la trouvaient « blessante ».
Récemment, la France a accueilli à bras ouvert le groupe ukrainien des « Femen »,
jeunes femmes ayant apparemment appris les doctrines de provocation à
des fins de déstabilisation de l’Américain Gene Sharp, et qui emploient
leurs seins nus pour s’exprimer, politiquement disent-elles. On leur a
rapidement accordés des papiers de résidence souvent difficiles à
obtenir pour des travailleurs immigrés. Les Femen se
sont installées dans le quartier le plus musulman de Paris, où elles se
sont mises à essayer (en vain) de provoquer leurs nouveaux voisins
ébahis. Une image de la chef du groupe embellit même le nouveau
timbre-poste français, en guise de portrait de « Marianne », symbole de la République.
Le 20 décembre dernier ces « nouvelles féministes » ont envahi l’Eglise de la Madeleine en plein Paris pour y mimer « l’avortement de Jésus »
avant d’uriner sur l’autel. On n’entendit pas de cri d’indignation des
ministres du gouvernement français. L’Eglise Catholique se plaint, mais
l’écho en est faible.
Pourquoi la Shoah doit être sacrée
Lorsque Dieudonné chante avec légèreté à
propos de la Shoah, pour certains, il nie l’Holocauste tout en
demandant sa répétition (une proposition contradictoire, si on y
réfléchit). La nature sacrée de la Shoah est défendue en soutenant que
garder vivante la mémoire de l’Holocauste est essentiel pour empêcher
qu’il ne se reproduise. Cette suggestion d’une répétition possible
entretient la peur.
Cet argument est largement accepté comme
une sorte de loi de la nature. Nous devons continuer à commémorer le
génocide pour l’empêcher de se reproduire. Mais où sont les preuves de
cette affirmation ?
Rien ne montre que les rappels
insistants d’un immense événement historique du passé empêche sa
répétition. L’histoire ne fonctionne pas ainsi. Quant à la Shoah, il est
insensé d’imaginer qu’elle puisse se reproduire, quand on pense à tous
les éléments spécifiques qui l’ont produite. Hitler avait le projet
d’établir la domination allemande sur l’Europe, en tant que race « arienne »
de maîtres, et haïssait les Juifs en tant que groupe rival dangereux.
Qui aujourd’hui mijote un tel projet ? Certainement pas un humoriste
franco-africain ! Hitler ne va pas revenir, pas plus que Napoléon
Bonaparte, Attila ou Genghis Khan.
Le rappel constant de la Shoah, dans les
articles, les films, les discours, ainsi qu’à l’école, loin d’empêcher
quoi que ce soit, crée une sort de fascination morbide pour les « identités ». Il encourage la « compétition victimaire ».
Cette fascination peut produire des effets surprenants. Quelques 330
écoles parisiennes portent des plaques en commémoration des enfants
juifs déportés dans les camps nazis. Comment les enfants juifs
réagissent-ils à cela ? Trouvent-ils cela rassurant ?
Cette commémoration sert en tout cas
Israël, qui entame actuellement un programme de trois ans pour
encourager un nombre croissant des quelques 600.000 Juifs de France à
partir pour Israël. L’année dernière, plus de 3.000 Juifs ont fait leur
Aliyah, une tendance attribuée par l’European Jewish Press à « la
mentalité de plus en plus sioniste de la communauté juive française,
surtout parmi les jeunes, et une manifestation des efforts de l’Agence
juive, du gouvernement israélien et des ONG, pour cultiver l’identité
juive en France. »
« Si cette année nous
avons vu l’Aliyah de la France augmenter de moins de 2.000 à plus de
3.000, j’attends avec impatience le jour où je verrai le nombre
atteindre 6.000 et davantage dans un avenir proche, » a dit Natan
Charansky, président de l’exécutive de l’Agence Juive pour Israël. Une
façon d’encourager l’Aliyah est d’effrayer les Juifs en brandissant la
menace de l’antisémitisme, en prétendant que les nombreux admirateurs de
Dieudonné sont tous des nazis en herbe.
Quant aux Juifs qui veulent continuer à
vivre en France, est-il vraiment sain de faire croire aux enfants juifs
que, s’ils baissent leur garde, ils risquent un jour d’être poussés dans
des trains pour Auschwitz ? N’est-ce pas une forme de maltraitance de
l’enfance ?
Quelqu’un qui le pense est Jonathan
Moadab, journaliste indépendant âgé de 25 ans, interviewé par Soren
Seelow. Moadab est à la fois juif pratiquant et anti-sioniste. Enfant,
il a été amené à visiter Auschwitz. Il raconte à Seelow que vivre avec
cet « endoctrinement victimaire » avait engendré un « syndrome de stress pré-traumatique ».
Selon Jonathan Moadab, « Les
blagues de Dieudonné sur la Shoah, comme sa chanson Shoananas, ne
visent pas la Shoah elle-même, mais l’instrumentalisation de
l’Holocauste décrite par le politologue américain Norman Finkelstein ».
Le 22 janvier, sur son site
Agence Info Libre, Jonathan Moadab a ouvertement appelé à la «
séparation entre l’Etat et la religion de l’Holocauste ».
Le professeur Yeshayahu Leibowitz d’origine lettonne de l’Université
hébraïque a probablement été le premier à suggérer que l’Holocauste
était devenu la nouvelle religion juive, dit-il. Si cela est vrai, tout
le monde a certainement le droit de pratiquer la religion de la Shoah.
Mais doit-elle être la religion officielle de la République Française ?
La classe politique française ne cesse de célébrer la « laïcité »
de la République. Le Ministre de l’Intérieur Manuel Valls, qui proclame
sa fidélité à Israël, parce que sa femme est juive, a récemment
qualifié la Shoah de « sanctuaire qu’on ne peut pas profaner ». Or, dit Moadab, si « la Shoah est un sanctuaire », alors l’Holocauste est une religion, et la République n’est pas laïque.
L’esprit des jeunes en France change.
Ces changements ne peuvent pas être attribués à Dieudonné. Ils sont dus
au passage du temps. L’Holocauste est devenu la religion de l’Occident à
une époque où la première génération née après la Deuxième Guerre
Mondiale était d’humeur à culpabiliser leurs parents. Aujourd’hui nous
avons affaire aux petits-enfants, ou aux arrières petits-enfants, de
ceux qui ont vécu cette époque, et ils veulent regarder vers l’avenir.
Aucune loi ne peut arrêter ce processus.
Paris, 24 janvier 2014
Diana Johnstone peut être contactée à
diana.johnstone@wanadoo.fr
(*) Pour ceux qui ne la connaissent pas,
la quenelle est un geste plutôt vulgaire, une variation du “bras
d’honneur”, avec une main placée en haut de l’autre bras dirigé vers le
bas. Le comédien avait introduit ce geste il y a des années, dans un
autre contexte, pour exprimer le ras-le-bol.