Marianne : Vous venez d'affirmer dans un entretien publié dans l'Expansion que «la spécificité française tient surtout à la détestation des élites envers la nation». Pouvez-vous préciser cette pensée et la justifier par quelques exemples ?
Marie-Françoise Bechtel : C'est une idée qui me poursuit depuis assez longtemps. Je me souviens l'avoir soutenue pour la première fois dans un entretien accordé à Joseph Macé-Scaron dans le Figaro fin 2000. Je lui avais dit que j'étais très frappée de voir à quel point les élites britanniques étaient fières de leur nation. Aujourd'hui, pour moi, c'est plus que jamais un constat absolu et évident. Les élites françaises ont honte de la France, ce qui n'empêche qu'elles peuvent avoir un comportement extrêmement arrogant, même si cela peut paraître paradoxal. Je cite souvent l'exemple de Jean-Marie Messier. Ce pur produit des élites françaises avait qualifié les Etats-Unis de «vraie patrie des hommes d'affaires», et ce, juste avant de s'y installer. Ici, le propos est chimiquement pur. Toutes les élites ne sont pas aussi claires, mais beaucoup n'en pensent pas moins.
Ça ne fait qu'un exemple !
M.-F.B. : Je peux vous en trouver des dizaines. Prenons celui des grands patrons dont les groupes investissent à l'étranger et qui se soustraient au versement de leurs impôts en France. Vous ne pouvez pas dire que ce sont des comportements patriotiques... Total ne paie quasiment pas d'impôts en France. Bien sûr, à l'étranger, nombreux sont les groupes qui ont les mêmes comportements, mais ils savent être présents quand leur pays a besoin d'eux. Regardez aussi la façon dont on traite les commémorations de la guerre de 1914-1918 : les élites, dont le PS, incriminent les nations. On oublie que les peuples ne voulaient pas la guerre, et que c'est le déni de la nation qui nous entraîne aujourd'hui dans une Europe qui ne cesse de faire monter l'extrême droite. Autre exemple qui m'a été raconté de première main et qui illustre ce mélange de déni et d'arrogance. Dans les négociations européennes de 1997 à 1999, en vue de la conclusion du traité de Nice, Pierre Moscovici, alors ministre délégué aux Affaires européennes, avait traité les petits pays avec une morgue incroyable, coupant la parole aux uns, leur demandant d'abréger leur discours, exigeant que le représentant de la Belgique se taise. C'est ce même Pierre Moscovici, toute son action le démontre, qui est persuadé que la nation française a disparu, que nous sommes devenus une région de la grande nébuleuse libérale et atlantisée.
Face à ça, dans cette période de crise, en France, le peuple se replie sur la nation, et comme on lui interdit d'être fier de son pays, qu'à longueur d'émission de télévision on lui explique que la France est une nation rance et sur le déclin, il prend le mauvais chemin, une mauvaise direction. Tous ces petits messieurs font le jeu du Front national. (...)
...La suite :
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