La secrétaire d’État des États-Unis Hillary Clinton évoque, lors d’une session du Conseil de sécurité des Nations Unies, la situation en Syrie (Nations Unies, New York, le 31 janvier 2012) |
Les désastres liés à la politique de « changement de régime » de l’administration Obama propagent la violence terroriste en Europe, mais ils sont à l’origine de bien plus de carnages dans ces deux pays touchés par cette tragédie, écrit Jonathan Marshall.
Les enquêtes policières et la presse ont confirmé que deux des attaques terroristes les plus meurtrières à s’être déroulées en Europe de l’Ouest – les attentats à la bombe et les fusillades coordonnés à Paris de novembre 2015 qui ont fait 130 victimes et l’attentat à la bombe de mai 2017 dans la salle Arena de Manchester en Angleterre, qui en a fait 23 – ont été provoquées par une unité de l’EI basée en Libye, unité du nom de Katibat al-Battar.
Depuis ces attaques, de nombreux analystes, moi y compris, les ont considérées comme une forme de « réaction » à la campagne désastreuse menée pour déposer le dictateur libyen Mouammar Kadhafi en 2011. En transformant la Libye en base-arrière des militants extrémistes radicaux, cette intervention a provoqué en boomerang l’exportation de la terreur vers Europe de l’Ouest.
Cependant, une critique aussi eurocentrique de l’intervention de l’OTAN laisse dans l’ombre les dommages bien plus graves qu’elle a provoqués en Syrie, où près d’un demi-million de personnes ont trouvé la mort et dont au moins 5 millions des citoyens ont dû s’enfuir depuis 2011. Les dirigeants états-uniens, britanniques et français ont contribué à déclencher, par leur hubris, l’une des plus grandes catastrophes modernes.
Il y a dix ans, la Libye, loin d’être un sanctuaire pour les opérations des djihadistes extrémistes, était l’un des principaux ennemis de ceux-ci. Un rapport de 2008 du département d’État faisait remarquer que « la Libye était un solide partenaire dans la lutte contre le terrorisme ». Il était aussi reconnaissant au régime de Kadhafi « de s’engager avec force dans des actions contre les flux de combattants étrangers », surtout des vétérans des guerres djihadistes en Afghanistan et en Syrie.
Tous ces efforts ont pris fin en 2011, quand des rebelles armés, qui comptaient, parmi eux, des membres disciplinés d’al-Qaïda et de l’EI, ont demandé l’aide de l’OTAN pour renverser le régime de Kadhafi. Les leaders occidentaux n’ont pas prêté attention aux avertissements prémonitoires du fils de Kadhafi, Seif, selon lequel « la Libye peut fort bien devenir la Somalie de l’Afrique du Nord, de la Méditerranée… Vous verrez des millions d’immigrants illégaux. La terreur sera à vos portes ». Kadhafi lui-même a prédit « qu’ une fois que les djihadistes auront le contrôle de la Méditerranée … alors il attaqueront l’Europe ».
Les attaques terroristes qui ont suivi en Europe ont, sans conteste, prouvé la validité de ces avertissements tout en discréditant le prétexte prétendument humanitaire de la guerre illégale en Syrie. Cependant les efforts des djihadistes pour contrôler la Méditerranée ont eu de bien plus graves répercussions, au moins dans le cas de la Syrie.
Un récent article du New York Times au sujet de la genèse des récentes attaques terroristes en France et en Grande-Bretagne a fait remarquer, en passant, que l’EI de Libye, constitué de « vétérans chevronnés des guerres d’Afghanistan et d”Irak », faisait partie « du premier contingent djihadiste étranger à arriver en Syrie en 2012, au moment où la révolte populaire du pays se changeait en guerre civile de grande envergure et en insurrection islamiste ».
Un ancien analyste britannique du contre-terrorisme a déclaré au journal : « Certains des mecs les plus dégueulasses d’al-Qaïda étaient des Libyens. Quand je me suis intéressé à l’EI, je me suis rendu compte que c’était la même chose. C’étaient les plus durs, les plus violents, ceux qui étaient toujours les plus extrémistes, contrairement aux autres. Les Libyens étaient l’élite des troupes et l’EI savait exploiter leurs caractéristiques ».
La violence extrémiste en Syrie.
Ces djihadistes libyens ont tiré parti de leur nombre, de leurs ressources et de leur fanatisme pour contribuer à l’escalade du conflit syrien jusqu’à la tragédie que nous voyons maintenant. Le carnage, que nous considérons maintenant comme allant de soi, n’était pas inévitable.
Bien que les manifestations anti-gouvernementales en Syrie du printemps 2011 soient, très vite, presque depuis le début, devenues très violentes, beaucoup de réformateurs et de responsables gouvernementaux se sont efforcés d’empêcher une guerre civile totale. En août 2011, les dirigeants de l’opposition syrienne ont déclaré très raisonnablement que les appels aux armes étaient « inacceptables, d’un point de vue politique, national et éthique. Militariser la révolution conduirait à sous-évaluer la gravité de la catastrophe humanitaire qu’impliquerait une confrontation avec le régime. La militarisation amènerait la révolution sur un plan où le régime avait un avantage notable et elle saperait la supériorité morale qui avait caractérisé la révolution depuis le début ».
On l’a oublié aujourd’hui, en général, mais le gouvernement d’Assad a aussi pris des mesures sérieuses pour encourager une désescalade de la violence, comme lever l’état d’urgence, dissoudre l’impopulaire Cour nationale de sécurité, nommer un nouveau gouvernement et organiser un dialogue national avec les leaders de l’opposition.
Mais le 18 août 2011, les mêmes dirigeants occidentaux qui bombardaient Kadhafi annonçaient au monde : « le temps est venu pour le président Assad de démissionner ». Comme pour fortifier la résolution des militants syriens, les rebelles libyens étaient alors juste en train de conquérir Tripoli avec l’aide de l’OTAN.
« C’est un signe de mauvais augure pour le président syrien Bachar al-Assad, écrivait le Wall Street Journal. Il y a déjà des signes qui montrent que la Libye inspire les rebelles qui essaient de renverser Assad… Les manifestants syriens sont descendus dans la rue pour scander : « Kadhafi ce soir, Assad demain… » Il est fort possible que l’épisode libyen ne serve qu’à intensifier le conflit en Syrie, à la fois en motivant les dissidents et en renforçant la détermination de M. Assad à tenir bon ».
Le développement du conflit en Syrie n’a pas été une conséquence involontaire de la campagne libyenne, mais une démarche volontaire de l’ambition ancienne des néoconservateurs de « remodeler le Moyen-Orient » en renversant des régimes extrémistes et antiaméricains. Le même article du Wall Street Journal évoquait les buts grandioses de certains interventionnistes de Washington :
« La nouvelle énergie apportée par le soulèvement libyen pourrait aussi se propager aux autres pays de la région, pas seulement à la Syrie. Les responsables états-uniens espèrent en particulier que cela va donner une nouvelle vigueur à un mouvement de protestation né en 2009 en Iran pour mettre en cause la réélection du président Mahmoud Ahmadimejad… La Syrie est depuis 30 ans le plus proche allié stratégique de l’Iran dans la région. Selon des responsables états-uniens, les menaces qui pèsent de plus en plus sur le régime d’Assad pourraient motiver les forces démocratiques iraniennes ».
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