mardi 26 février 2013

LIBYE : Les Américains auraient dû laisser Kadhafi tranquille !


L'aide apportée par l'administration Obama à l'intervention de l'Otan en Libye pour soutenir la révolution du 17 février 2011 s'avère, deux ans plus tard, une erreur. Elle nuit aux intérêts américains et remet en cause leur nouvelle approche en politique étrangère.


Il n'y aurait rien d'étonnant à ce que de nombreux membres du gouvernement de Barack Obama se disent de temps en temps que Muammar Kadhafi leur manque. Si ce n'est pas le cas, ils ont tort. Et ce n'est pas uniquement à cause des tentes que l'ancien dictateur pourrait planter pour faire du camping à New York. [En septembre 2009, pour sa première visite aux Etats-Unis à l'occasion de l'Assemblée générale des Nations unies et après une longue polémique, Kadhafi a été autorisé à planter une  tente bédouine dans le parc d'une somptueuse demeure appartenant au milliardaire Donald Trump et située dans une banlieue huppée de New York.] Ni parce qu'il avait un style incomparable. Ni à cause de l'unité d'élite uniquement féminine dont il s'entourait ou encore parce qu'il était obnubilé par Condoleezza Rice (une obsession dont le point culminant a été une vidéo en son hommage qui comprenait une chanson originale intitulée Black Flower in the White House).
En fait, la disparition de l'ancien dictateur libyen serait regrettable pour l'administration Obama, parce qu'aujourd'hui on peut constater que l'intervention libyenne dirigée de l'arrière ("leading from behind") par les Etats-Unis a finalement été une erreur tactique considérable de la part de la Maison-Blanche. En effet, la stratégie de "l'empreinte légère" choisie par l'Otan [19 mars – 31 octobre 2011] a permis de faire tomber Kadhafi, mais n'a laissé personne sur le terrain pour restaurer l'ordre à l'issue de  cette intervention. La situation a été exacerbée par le fait que le peu d'infrastructures que possédait la Libye ont été détruites par l'invasion, sans compter les dizaines de milliers de Libyens qui sont morts pour établir la contre-utopie actuelle

Al-Qaida au Maghreb islamique a étendu son territoire
 
Deux ans plus tard, de grands pans du pays demeurent incontrôlés et des milices lourdement armées sillonnent les campagnes en toute impunité. La dégradation de la situation en Libye a rattrapé l'actualité américaine à la suite des attaques qui ont eu lieu le 11 septembre 2012 contre le consulat des Etats-Unis à Benghazi. L'assaut – que la Maison-Blanche a confondu, à tort, avec la réaction de manifestants à la diffusion sur Internet d'une vidéo anti-islam – s'est avéré une véritable plaie pour le gouvernement à l'échelle nationale : il s'est soldé par le retrait de la candidature de Susan Rice [l'ambassadrice américaine auprès des Nations unies] au poste de secrétaire d'Etat et par le retard que connaît la confirmation de la nomination de Chuck Hagel au poste de ministre de la Défense, à la suite de l'obstruction des républicains au Congrès. Ces derniers semblent d'ailleurs déterminés à ne pas lâcher le morceau.
Le point crucial, toutefois, reste que l'intervention en Libye a permis à Al-Qaida de regagner le terrain perdu pendant le "printemps arabe". Avant l'opération de l'Otan, les manifestations étaient généralement pacifiques et Al-Qaida avait été relayée au second plan des révolutions qu'elle tentait de mettre en œuvre depuis plusieurs décennies. L'incursion américaine en Libye a rouvert la voie à l'organisation terroriste, pour qui les dictateurs devaient être renversés par la force. Par conséquent, les groupes affiliés à Al-Qaida se sont empressés de "prêter main-forte" à l'Otan en Libye.
Depuis, AQMI (Al-Qaida au Maghreb islamique) a étendu son territoire et a notamment conquis une zone gigantesque dans le nord du Mali, ce qui a déclenché l'intervention de la France [11 janvier 2013], pour une durée indéterminée, dans son ancienne colonie. S'est ensuivie une expansion des milices en Algérie [prise d'otages sur un site gazier, à In Amenas, le 16 janvier 2013], qui a entraîné la mort de nombreux ressortissants étrangers originaires du monde entier.

Si Kadhafi se retourne dans sa tombe

Les groupes affiliés à Al-Qaida ont été parmi les premiers bénéficiaires des armes, du matériel et de l'entraînement fournis aux rebelles libyens. Ces mêmes armes ont depuis réapparu en Syrie, où Al-Qaida et ses associés représentent les forces les plus efficaces au sein des combattants rebelles. Par conséquent, leur recrutement est actuellement en pleine expansion. Les membres des milices continuent de recevoir des armes et du matériel, qui parviennent désormais aux rebelles syriens.
Et alors que l'opération en Libye a permis à Al-Qaida d'intervenir en Syrie, elle a empêché les Etats-Unis d'en faire autant. Les actions de l'Otan en Libye ayant globalement été perçues comme excessives au regard du chapitre 7 de la résolution du Conseil de sécurité qui a servi de prétexte juridique pour lancer l'intervention, la Russie et la Chine ont pu en profiter pour s'opposer à l'initiative américaine visant à adopter une résolution similaire dans le cas de la Syrie. Même si la Maison-Blanche clame constamment que la chute de Bachar El-Assad est imminente et inéluctable, la position du dirigeant syrien demeure relativement solide deux ans après le début de la rébellion.
Enfin, il faut aussi mentionner les questions de communication liées à l'intervention. Malgré la folie, les crimes, la corruption et des manières excentriques, Muammar Kadhafi était devenu un allié de l'administration de George W. Bush [président des Etats-Unis de 2001 à 2009] et il a participé à la lutte contre le terrorisme et contre la prolifération du nucléaire. Demander au dictateur libyen d'abandonner son programme d'armement nucléaire pour ensuite le renverser envoie un message contradictoire à des pays comme la Corée du Nord et l'Iran.
Manifestement, l'administration Obama avait perçu le renversement de Kadhafi comme un élément secondaire dans le cadre de leur stratégie globale du "printemps arabe". A de nombreux égards, faire tomber le dictateur libyen était effectivement un détail, mais il a beaucoup mieux résisté que ne l'avait pensé l'Otan et les suites de l'invasion ont handicapé la politique étrangère américaine. Si Kadhafi se retourne dans sa tombe perdue dans le désert, c'est probablement parce qu'il est mort de rire.

Musa Al-Gharbi

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