vendredi 12 septembre 2008

La Mystérieuse ' Lettre de Sarkozy '

N'est' il pas amusant de voir comment certain politiciens 'occidentaux' se déchaînent contre l'accord de cessez-le-feu signé à propos de la Géorgie et des soldats de la paix russes en Géorgie. Mais ils le font, bien sûr, avec un but. Ils veulent changer l'accord de cessez-le-feu accepté et signé.

Pour comprendre ce qui se passe, on doit retourner aux phases qui ont mené à l'accord de cessez-le-feu. J'essayerai de le faire ci-dessous et malheureusement ce sera un peu longuet.

Voici la version courte :

Les Etats-Unis tentent de modifier les termes de l'accord de cessez-le-feu accepté et signé à propos du conflit Géorgien.

Sarkozy ayant négocié avec la Russie et le cessez-le-feu ayant été convenu par les deux parties, les Etats-Unis sont très déçus (et furieux envers Sarko).

Condoleeza Rice arrive dare-dare à Paris et fait pression sur Sarkozy pour qu'il écrive une lettre à Saakashvili qui donne une interprétation Etats-uno/Georgienne très particulière de l'accord de cessez-le-feu.
Légalement cette lettre n'a aucune valeur.


Mais ensuite les Etats-Unis veulent que cette interprétation tordue apparaissant seulement dans une lettre de Sarkozy à Saakashvili devienne une partie légale de l'accord de cessez-le-feu via une résolution au conseil de sécurité de l'ONU.

Ils utilisent la ' lettre de Sarkozy ' comme un instrument de propagande contre les mouvements de troupe légaux et les points de contrôle que les russes établissent en Géorgie.
Les médias, bien entendu, tombent dans le panneau.

La Russie n'acceptera bien sûr jamais cette manoeuvre. Elle n'a aucune raison de le faire et possède les cartes en main pour cela.

La situation sur le terrain :

Les russes ont retiré leurs troupes à l'intérieur ou près de l'Ossétie du Sud et de l'Abkhasie le long des lignes de pacification qui ont été convenues dans les années 1990. Ils gardent de plus des postes de surveillance dans le port principal de la Géorgie Poti et dans Senaki aussi bien que près de la route Est-Ouest majeure au nord de Gori.

Carte de la BBC (il n'y a actuellement plus de 'clashes')

Pour n'importe quel stratège la raison est évidente. Le port de Poti est le point le plus probable par lequel des armes lourdes pourraient entrer dans le pays. (La Turquie ne va probablement pas permettre n'importe quels transports d'armes sur son territoire qui pourraient sérieusement affecter ses relations avec la Russie.) L'avant-poste dans Senaki est nécessaire pour sécuriser ' la ligne de communication ' entre l'Abkhazie et les troupes d'observateurs dans Poti. Le poste au nord de Gori est un point de surveillance pour l'éventuel trafic de camions d'armement et/ou le trafic militaire sur cette route majeure.

Ces troupes RESTERONT là jusqu'à ce que la Russie obtienne ce qu'elle veut au conseil de sécurité de l'ONU.

Les Etats-Unis, bien sûr, n'apprécient pas :

Le porte-parole du Département d'état Adjoint américain Robert Wood a déclaré que les russes ont "sans aucun doute échoués à respecter leurs obligations conformément à l'accord de cessez-le-feu."

Une préoccupation a été immédiatement exprimée par toutes les parties concernant les zones-tampons à l'extérieur des deux provinces sécessionnistes, l'Ossétie du Sud et l'Abkhazie. La Russie insiste sur son droit à établir ces zones en conformité avec l'accord de cessez-le-feu. Mais R. Wood déclare alors :" l'établissement de check-points et de zones-tampons ne fait pas partie de l'accord".

R. Wood a, bien entendu, tort. Le point 5 du plan de paix signé dit :
Les forces militaires russes devront se retirer sur les lignes antérieures au déclenchement des hostilités. Dans l'attente d'un mécanisme international, les forces de paix russes mettront en oeuvre des mesures additionnelles de sécurité.


C'est bien sûr une formulation excellente, courte mais de grande portée - du point de vue russe.

N'importe quel "mécanisme de contrôle international de paix" aura besoin d'un mandat du Conseil de sécurité ou un accord de l'OSCE, qui ne peuvent être obtenus que si la Russie donne son accord.
Les "mesures additionnelles de sécurité" peuvent ainsi inclure à peu prés toutes les mesures militaires ou policières que les russes jugent utiles de déployer sur le sol Géorgien. Si le contrôle du trafic à Tbilissi est jugé nécessaire par les forces de maintien de la paix russes en tant que "mesure additionnelle de sécurité", il n'y a légalement rien que personne puisse faire contre la Russie pour l'en empêcher.
(Personne ne serait d'ailleurs stupide au point de tenter quoi que ce soit dans ce sens)

L'article de CNN cité précédemment tente d'expliquer la justification américaine du faux outrage exprimé par Robert Wood :

In a letter clarifying that point, French President Nicolas Sarkozy -- who helped broker the deal -- wrote that such measures "may only be implemented in the immediate proximity of South Ossetia to the exclusion of any other part of Georgian territory."

He added that the measures must be "inside a zone of a depth of a few kilometers from the administrative limit between South Ossetia and the rest of Georgia in a manner such that no significant urban zone would be included."


Quelle "lettre"? Ecrite à qui ? Quand ? Où ? CNN ne nous le dit pas...


Voici donc l'histoire de la ' lettre de Sarkozy ' :

Aux premières heures du jour, le vendredi 8 août, la Géorgie a déclenché un barrage d'artillerie contre la ville de Tskhinvali en Ossétie du Sud qui était sous la protection de soldats de la paix russes internationalement reconnus. La Russie a demandé une déclaration immédiate de L'ONU pour rétablir la paix, mais "l'occident" a refusé. Dans les douze heures qui suivirent la Russie a réagi et a déployé des forces sur le terrain pour stopper les attaquants Géorgiens.

Le 10 août les forces géorgiennes étaient battues et Saakashshvili offrait des pourparlers de cessez-le-feu.

Le 11 août, le ministre des Affaires Etrangères français Kouchner et son collègue finlandais Stubb ont rédigés un accord de cessez-le-feu, vraisemblablement sans en parler aux russes, que Saakashvili aurait signé. Ils étaient supposés apporter ce document à Moscou, mais il n'y a aucune dépêche qui confirme qu'ils y aient jamais mis les pieds. La Géorgie ou la Russie (ou quelqu'un d'autre ?) a refusé ce document.

Durant la nuit du 11 au 12 août; les troupes Géorgiennes se sont enfuies de l'ouest de la Géorgie et de la ville de Gori en direction de Tbilissi en raison de craintes selon lesquelles les Russes s'apprêtaient à marcher sur la capitale.

Le 12 août, le ministre russe des affaires étrangères, S. Lavrov :
critique sévèrement les occidentaux pour ne pas avoir convaincus Saakashvili de renoncer à l'usage de la force.
"Nos partenaires étrangers n'ont rien fait pour forcer Tbilissi, pour utiliser leur influence sur Tbilissi, pour obtenir un document légal" de renoncement à l'usage de la force.


Après l'échec de la mission Kouchner, Sarkozy s'envole pour Moscou le 12 août pour négocier lui-même une nouvelle version. Les russes lui ont exposé leur volonté et Sarkozy l'a docilement noté. Il a alors volé vers Tbilissi mais Saakashvili (et ses gardiens américains) a refusé d'en accepter les termes. Le point de différence était un mot dans le point 6 de l'accord :

Lancement de discussions internationales sur le statut, la sécurité et les dispositions de stabilité pour l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud.

La formulation est la même que celle utilisée dans le cas du Kosovo où elle a servie aux "occidentaux" pour retirer le Kosovo à la Serbie. La Géorgie a donc exigée que soit retiré le mot statut car il mettrait en danger son "intégrité territoriale". La Russie accepta considérant la formulation "discussions internationales sur la sécurité et les dispositions de stabilité" suffisamment forte pour ses objectifs étant donné l'absence de mention de "l'intégrité territoriale".

C'est actuellement un point de désaccord au conseil de sécurité de l'ONU. Le camp "occidental" veut voir apparaitre les mots ' intégrité territoriale ' de la Géorgie dans la nouvelle résolution, la Russie exige la citation exacte de l'accord de cessez-le-feu signé qui, au cours de négociations postérieures, pourrait finalement permettre de détacher l'Ossétie du Sud et l'Abkhazie de la Géorgie.

Après que le mot "statut" ait été retiré de la clause 6, Saakashvili a accepté l'accord de cessez-le-feu, mais n'a formellement signé aucun document.

Le 13/14 août, la secrétaire d'état C. Rice s'envola pour Paris afin de discuter avec Sarkozy. Elle était supposée prendre le document de l'accord formel à Paris et aller le faire signer à Tbilissi.

Mais comme le monde l'appris seulement quelques jours plus tard, elle fit pression sur Sarkozy pour qu'il écrive une lettre à Saakashvili de manière a 'clarifier' des points dans l'accord de cessez-le-feu et ainsi changer la signification de deux points importants de l'accord original. Les russes ont été verbalement informés de la lettre, mais ils ont dit, "Et alors ?". Ils ont clairement fait savoir que, de leur point de vue, cette lettre ne représentait en aucun cas un document légal. "En quoi les lettres d'amour que Sarkozy écrit a Saak nous concernent-elles?"

Le 15 août Rice arrive à Tbilissi. Plus tard dans la journée, les dépêches annoncent que Saakashvili aurait signé le plan de paix.

Mais l'a-t'il vraiment signé ?
Late on Friday US Secretary of State Condoleezza Rice spoke with Russian Foreign Minister Sergei Lavrov from her plane after leaving the Georgian capital Tbilisi. A US official said Lavrov told Rice Russia would faithfully implement the ceasefire agreement, but wanted to see Saakashvili's signature on the document first.
Ne faites jamais confiance à personne tant que rien n'est effectivement signé...

Le dimanche 16, Medvedev signa l'accord formel envoyé par les Français. Cependant cette version du document était sensiblement différente de celle signée par Saakashvili (après la signature, de tels documents sont échangés) :

The copy signed by Saakashvili somehow lost a preamble that said the document was the result of an agreement reached between Medvedev and Sarkozy. When this became known, Foreign Minister Sergei Lavrov said he would use diplomatic channels to find out who had modified the text.

C. Rice pris le document (et la lettre de Sarko) à Paris en chemin vers Tbilissi. Le document qui a été envoyé de Paris à Moscou pour la signature contenait le préambule. Celui apporté par Rice à Tbilissi est arrivé sans. Rice a-t-elle enlevé la partie qui accréditait des négociations Sarkozy-Medvedev ? Pourquoi ? (Comment ceci est-il relié à la lettre ?)
Les négociations étaient finies, les documents signés et échangés et le processus légal terminé.

Mais le Samedi (!) 16 août, cette dépêche quelque peu mystérieuse était publiée :


Sarkozy says Russia must withdraw in Georgia deal
16 Aug 2008 18:56:47 GMT
Source: Reuters
PARIS, Aug 16 (Reuters) - Russia must withdraw from all major towns in Georgia under a peace accord it has signed, despite conditions authorising "additional security measures," according to a letter sent by French President Nicolas Sarkozy to Georgian leader Mikheil Saakashvili. "As I specified at our joint press conference in Tbilisi, these 'additional security measures' can only be implemented in the immediate proximity of South Ossetia to the exclusion of any other part of Georgian territory," read the letter, made public by Sarkozy's office on Sunday. The French-brokered agreement drafted this week authorises Russian forces to take extra security measures on a temporary basis pending the arrival of international peacekeepers -- which requires a U.N. Security Council resolution. Uncertainty remains over how quickly and how far Russian forces will be withdrawn and Georgia accused Russian troops on Saturday of severing the country's main east-west train link by blowing up a railway bridge in broad daylight. Russia has denied that its forces were responsible for the bridge's destruction. Sarkozy's letter said that under the accord, Russian forces would not be authorised to remain in any major towns outside South Ossetia and road and rail transport should be guaranteed. "More precisely, these 'measures' may only be implemented within a zone of a few kilometres from the administrative limits between South Ossetia and the rest of Georgia, in such a way that no major urban centre is included -- I am thinking in particular of the town of Gori," the letter read. "Special arrangements will have to be defined to guarantee freedom of movement along the road and rail routes of Georgia," it said.


Aucune de ces spécifications n'est mentionnée dans le très court, officiellement signé et légalement contraignant accord réel. Pourquoi Sarkozy croit-il qu'il peut l'interpréter à volonté et cela d'une façon aussi spécifique ?

S arrange un contrat entre A et B où B doit payer 10,000. Une fois le contrat signé, S dit à B qu'il interprète 10,000 pour être en réalité vu comme 100. B aime beaucoup cette interprétation. Mais pourquoi A devrait-il y consentir ?

La lettre que Reuters a publié le samedi tout en annonçant l'avoir publié le dimanche semble avoir été gardé complètement secrète jusqu'a ce que l'agence ICP s'en soit saisi :

While the document handed to Inner City Press Thursday at the stakeout begins, "The Presidency of the Republic [of France], for the sake of transparency, wished to make public the letter," afterwards numerous reporters and even senior diplomats in the Security Council asked Inner City Press for copies of Sarkozy's letter. Inner City Press made copies, for the sake of France's transparency.

Résumons :
Sarkozy s'est fait dicter par la Russie le texte du cessez-le-feu en Géorgie, particulièrement les points 5 et 6. Il est allé à Tbilisi et après une nouvelle négociation, les russes ont été d'accord pour changer un mot. Saakashvili a verbalement été d'accord avec ce 'projet'. Les Etats-Unis ne l'ont pas aimé.

Alors Rice s'est envolée pour Paris pour donner sa propre dictée à Sarkozy. Il a aussitot écrit une lettre à Saakashvili en y incluant l'interprétation américaine qui est que la clause illimitée ' des mesures additionelles de sécurité ' contenue dans l'accord est en réalité supposée signifier ce que les Etats-Unis disent qu'elle signifie. Rice prend la lettre et le document de cessez-le-feu à Tbilisi et Saakashvili doit signer.

Maintenant les Etats-Unis utilisent dans les médias et au conseil de sécurité de l'ONU l'anciennement secrète lettre de Sarkozy pour soutenir que la Russie ne respecte pas une version du cessez-le-feu qu'elle n'a jamais approuvée.

L'ambassadeur russe à L'ONU a une opinion trés claire sur cet embrouillamini que vous pouvez écouter et voir ici a 5'20".

/Moon of Alabama
(Traduit de l'anglais par Bertrand Du Gai Déclin)

Article original :

The Mysterious 'Sarkozy Letter'

1 commentaire:

  1. Bon début!
    Je vous félicite pour votre traduction.

    ******

    Il est tout-à-fait claire que les "Maitres du Monde" n'accepte pas qu'un pays ou gouvernement quel qu'il soit suive une politique autonome.

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