mercredi 5 février 2020

Pour Emmanuel Todd, la France est aux mains d'une "bureaucratie folle"


Invité de Frédéric Taddei dans "En balade avec", sur Europe 1, l'essayiste Emmanuel Todd estime que la France est aux mains d'une "bureaucratie folle" qui, faute de pouvoir comprendre l'état de la société, se lance "dans des réformes de plus en plus violentes" et place le pays au bord d'une nouvelle lutte des classes.
INTERVIEW
Les inégalités n'augmentent pas en France, mais la lutte des classes est proche. C'est, en résumant à gros traits, ce que prévoit l'essayiste Emmanuel Todd, dans son dernier ouvrage paru en janvier dernier, Les Luttes de classes en France au XXIe siècle (Seuil). Invité en balade avec Frédéric Taddei, dimanche, le démographe est revenu sur cette affirmation que nombre de commentateurs qualifient de paradoxe.

"À part ce qui concerne les 1% les plus privilégiés, et les 0,1% à l'intérieur, les inégalités n'augmentent pas en France. Ça peut parait contradictoire avec une idée de lutte des classes. Mais la lutte des classes que j'envisage pour le futur, c'est tout le monde contre les 1% d'en haut. C'est une lutte des classes simple, comme lorsque l'on dégomme une aristocratie. La lutte des classes, c'est un truc simple : il faut qu'une écrasante majorité de la population se soulève, en un sens symbolique", développe Emmanuel Todd au micro d'Europe 1.

Pour l'essayiste, notre société est aujourd'hui enfermée dans un phénomène de "fausse conscience". "C'est un concept dérivé du marxisme : cela décrit la difficulté à penser la société indépendamment de son propre positionnement dans la société". En clair, une partie de la société, une certaine "forme de bourgeoisie", celle qui a voté Emmanuel Macron, n'aurait pas pris la réelle mesure de l'état du pays. "Ces gens n'ont pas compris que le niveau de vie a baissé. Ils pensent que si on habite un appartement de 45m² dans le 11e arrondissement de Paris, on est un winner. Alors qu'avant, on habitait un 75m² dans le 16e arrondissement pour le même prix", développe Emmanuel Todd.

"La société française est une sorte de champs de ruine"
Pour autant, les inégalités ne sont pas aussi criantes qu'aux États-Unis, où 20% de la population se détache clairement des autres. Chez nous, cela concerne surtout "le haut du haut" et "les soi-disant 'winners' ne décrochent pas tant que ça des ouvriers".

Selon Emmanuel Todd, la classe dirigeante a totalement raté le tournant de la fin des trente glorieuses, et les effets se font encore ressentir aujourd'hui. "Les gens qui pilotent l'État ont entamé une conversion au néo-libéralisme. Mais ils n'y arrivent pas. [...] Ils savent vérifier les comptes publiques, comprimer des dépenses mais ne savent pas ce que c'est que le marché. Lorsqu'ils arrivent à la tête des grandes entreprises, c'est faillite garantie. Ils détruisent l'industrie, détruisent la bourgeoisie industrielle. Ce qui fait de la société française une sorte de champs de ruine qui n'a plus d'autres classes dominantes que la haute bureaucratie", tacle l'essayiste français.

Emmanuel Todd enchaîne, tranchant, sur les responsables actuels : "Cette bureaucratie folle se débat dans cette contradiction de ne plus comprendre ce qu'il se passe, et de faire des réformes de plus en plus violentes, de se venger sur le peuple, par des taxes qui mettent la vie des gilets jaunes en péril, ou une retraite universelle qui n'est pas définie tellement ils sont incompétents". "Je commence à me demander s'ils ne sont pas en train de supprimer les retraites", avance-t-il même. Avant d'interroger : "Comme on ne sait pas comment ce système des retraites va marcher, comment peut-on savoir ce qui va se passer ?"
Europe 1

1 commentaire:

  1. Todd l'a toujours répété, il est un incorrigible optimiste, et son hypothèse d'un soulèvement général contre le 0.1 % relève de la fin heureuse qui correspond le mieux à son tempérament. On sent également dans toute ses analyses récentes que le RN lui pose problème. Problème qu'il évacue en exilant le prolo d'Hénin Beaumont sur sa voie de garage -mais n'est-ce pas plutôt lui qui est dans l'impasse ?- et en voyant une dérive inéluctable du flic RN l'amenant à se pacser avec le rond de cuir de Bercy LREM.-ce qui me semble à moi tiré par les cheveux, même si cette fin de l'histoire correspond à L'ADN de l'imaginaire toddien qui reste celui de la gauche intellectuelle (le même qui nous avait promis un déplacement tout aussi inéluctable de l'islamophobie vers l'antisémitisme).
    J'invite Todd à remettre les pieds sur le terreau marxiste qu'il affectionne et à ne considérer rien d'autre que les forces en présence. Pour l'instant, ce que j'appelle le "moment Guilluy" n'a pas encore été dépassé et la collusion d'une large fraction de la classe moyenne avec l'hyperclasse ( laquelle à modelé la vie politique française pendant quarante ans) a encore de beaux restes, comme on l'a vu aux récentes européennes.
    Oui, la vie politique française est bloquée, mais son verrou tient autant à la gauche qu'au RN, une gauche qui ne cesse de courir après sa pureté originelle fantasmée (un Bégaudeau ou un Lordon sont trés révélateurs à ce sujet), appelant à un invraisemblable retour au prolétaire n'ayant plus rien à perdre que ses chaînes comme condition indispensable à ce qui ressemble au grand soir mythique et suranné.
    Une chose pour moi est certaine, les classes intermédiaires qui se sont extraites par pur intérêt de la gauche mythique n'y retourneront pas.
    C'est ce constat qui me pousse personnellement à être pour l'instant un électeur dépité du RN et croyez bien que je serai preneur de toute autre solution ancrée dans la réalité.
    Encore merci pour votre travail, lequel passe par un intérêt partagé pour cet indispensable agitateur d'idée qu'est Manu Todd.
    La Gaule

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