mardi 25 août 2009
Le « retour » de la France dans l'OTAN : fausses raisons et vraies conséquences
Leurres, illusions et contre-vérités
Pour les avocats d’une réintégration pleine et entière dans l’OTAN, ce « retour » est d’autant plus naturel que, dans les faits, il est déjà quasiment acquis. Il est vrai que sur le plan politique, la France n’a jamais cessé sa participation de plein droit dans l’Alliance, et que sur le plan militaire un rapprochement « à petit pas » fut amorcé dès le début des années 1990. Après la guerre dans les Balkans et la possibilité accordée pour la mise sous commandement OTAN des unités françaises d’Eurocorps, la France annonce en 1995, dans le cadre d’une première tentative de réintégration initiée par le Président Chirac, qu’elle participera de nouveau aux réunions des ministres de la défense de l’OTAN et que son chef d’état-major retournera au Comité militaire. (Traditionnellement, le chef de la mission française à l’OTAN était physiquement présent pendant les délibérations du Comité militaire, mais ne s’exprimait pas, siégeant en bout de la table, tout près de la porte pour pouvoir quitter la salle lorsqu’il était question du nucléaire). Résultat des courses : la France participe aujourd’hui à toutes les instances intergouvernementales de l’Alliance, à l’exception du Comité des plans de défense (qui vise en théorie, par le biais d’objectifs censés être incitatifs à défaut d’être directifs, à coordonner les politiques de défense des alliés, préparation et équipement des forces compris) et le Groupe des plans nucléaires (à propos duquel le ministre Kouchner, auditionné mi-février à l’Assemblée nationale en compagnie de son collègue Hervé Morin tenait à rassurer qu’« il n’est pas question de remettre en cause la totale autonomie de la force nucléaire française »).
Pour ce qui est du commandement militaire intégré, la participation française, limitée et ciblée, est pour le moment régie par l’accord dit « Flag to posts » de 2004, prévoyant l’insertion (avec maintien sous contrôle national et la possibilité de retrait à tout moment) de 110 officiers français dans les états-majors de l’Alliance. Comme l’avait fait remarquer le rapport intitulé « Les enjeux de l'évolution de l'OTAN » du Sénat en juillet 2007 : cette présence française au sein du commandement intégré « reste extrêmement modeste ». Du moins en termes quantitatifs, et comparée aux chiffres affichés par les autres pays membres (environ 1 % de l'effectif total dans les états-majors multinationaux où la présence américaine avoisine les 2 800 personnes, celle de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne plus de 2 000 personnes chacune, les Italiens comptant environ 1 200 militaires intégrés et les Turcs près de 600).
Par ailleurs, si la position singulière de la France n’est pas sans incidences pour sa contribution au budget commun des alliés, celle-ci est des plus significatives et va déjà croissant. Ne participant qu’à une partie des dépenses militaires, la France figure néanmoins au 5ème rang des contributeurs financiers de l’OTAN. Or le budget de l’Alliance a ceci de particulier que (1) il est en augmentation rapide (il s’est accru de 20% entre 2003-2007, avec la contribution française progressant de 50% durant la même période) ; (2) il fait l’objet de tentatives insistantes de la part des US et les pays euro-atlantistes pour élargir davantage le champ des financements en commun ; (3) le calcul des parts de chacun est tout sauf arithmétique : comme l’avait noté un rapport du Service de recherches du Congrès américain « lorsque le partage des fardeaux est négocié, l’Alliance prend en compte les responsabilités globales des Etats-Unis en matière de sécurité ». Concernant la France, d’après une audition d’experts devant le Sénat, une participation pleine et entière aux structures de l'Alliance devrait se traduire par un surcoût annuel de l'ordre de 85 millions d'euros pour Paris (sur une contribution de 170 millions d'euros par an actuellement). Soit une augmentation équivalente, en elle-même, au triple de ce que la France avait versé annuellement à l’OTAN entre 1966 et 1996.
Force est de constater, par ailleurs, que les spécificités du statut de la France à l’OTAN n’empêche en rien le pays de figurer parmi les principaux contributeurs en forces aux opérations de l’Alliance, ni les officiers français d’assurer le commandement de l’ensemble des forces alliés sur le terrain, comme ce fut déjà le cas à plusieurs reprises, notamment au Kosovo et en Afghanistan. En effet, il y a aujourd’hui davantage de troupes françaises déployées sous bannière OTAN que sous commandement de l’ONU ou de l’Union européenne. Dans la même logique, la France participe aussi, et de façon très significative, à la NRF (NATO Response Force ou Force de réaction de l’OTAN), de même qu’à la vaste majorité des programmes d’investissement. Mais si ce sont autant d’arguments en appui du raisonnement « on est déjà dedans ou c’est tout comme », ce même raisonnement coupe l’herbe sous les pieds de ceux qui voudraient faire croire que la réintégration envisagée est essentiellement une démarche technique. Et montre qu’il s’agit, au contraire, d’une décision hautement politique. Or, sur ce plan, il n’y absolument rien qui la justifie.
Premièrement, quand bien même le processus de réintégration pourrait être conduit sans perte réelle d’autonomie (ce qui exigera une vigilance continue, en particulier sur la question des modalités d’engagement des forces sur les théâtres d’opération, du financement en commun, des projets d’investissement), du fait du message qu’il envoie la France risque de voir sa marge de manœuvre automatiquement réduite. Car si les partisans du retour se plaisent à observer que la portée de la singularité française au sein de l’OTAN est aujourd’hui plus symbolique que pratique, la symbolique, justement, du retour aura inévitablement des répercussions pratiques. Les dirigeants français ont beau marteler les principes qu’ils avaient posés (maintien de l’autonomie de décision, exclusion de tout engagement automatique dans les opérations et absence de forces placées sous le commandement de l’OTAN en temps de paix), il ya peu de chance que les partenaires de la France dans le monde entier soient réceptifs à ce genre de subtilités. La perception sera unanime et sans équivoque. Ce n’est pas un hasard si l’ancien Premier ministre Villepin qualifie la réintégration de « faute ». Pour lui, « ça banalise le rôle de la France (…) la situant clairement dans les bataillons de l’OTAN ». Le « mauvais signal » d’alignement qu’une telle décision envoie entraînera forcément un « rétrécissement » de l’influence diplomatique de la France.
Deuxièmement, les arguments « pro-OTAN » non seulement nient ces évidences, mais prétendent même que de par cette décision la France renforcerait sa capacité d’influence. Tant par rapport à l’Amérique qu’au sein de l’Alliance. D’après ce raisonnement, en « normalisant » sa position, la France pèsera davantage sur les évolutions en cours à l’OTAN, et ses interlocuteurs à Washington seront plus enclins à prendre en compte ses vues et ses positions après cette belle démonstration d’allégeance. On verra. Ou plutôt : c’est déjà tout vu. Regardons d’abord l’OTAN. Avant de faire l’éloge du « choix de la responsabilité », titre de sa tribune dans le quotidien Le Figaro en février dernier, le ministre de l’Intérieur (et ex-ministre de la Défense) Michèle Alliot-Marie avait elle-même noté que « le statut singulier de notre pays au sein de l’Alliance lui permet de faire entendre sa voix et d’être écoutée ». En effet, loin des chimères sur une hypothétique future influence française à l’OTAN, la réalité est que pour les 25 pays non-US de l’organisation la seule capacité qui reste est celle de la résistance.
L’équation est toute simple : pour l’Amérique, l’Alliance atlantique lui appartient. Des microphones laissés allumés par inadvertance aux télégrammes diplomatiques ébruités, de nombreux incidents sont là pour témoigner que les « diktats » et les « oukases » reçus de Washington sont compris et ressentis comme tels par les alliés – et, la plupart du temps, acceptés. S’y ajoute l’usage abusif de la « procédure de silence », méthode consistant à appliquer la règle « qui ne dit mot consent », pour forcer les consensus derrière les propositions venant du premier des Etats membres. Dans ces conditions, et vu les pressions énormes que les Etats-Unis sont habitués à exercer sur leurs alliés (dont 24 sont en situation de dépendance par rapport à eux depuis des décennies), on peut se demander si c’est à partir d’une position originale ou d’une place alignée qu’un pays membre aurait, a priori, plus de chance de résister.
Il reste néanmoins l’espoir de s’ériger en meilleur ami de l’Amérique et attendre béatement de pouvoir influencer Washington en contrepartie des gages de fidélité successifs. A cet égard, l’exemple britannique est à méditer. Soixante ans de bons et loyaux services, en effet, n’ont pas été sans conséquence. Comme l’a résumé l’ex-président de la Commission de Renseignement de Sa Majesté, M. Rodric Braithwaite : « Contrairement aux Français qui avaient préféré suivre un chemin plus solitaire, mais indépendant, la coopération avec les Américains a privé les Britanniques de la plupart de leur indépendance. » Il s’ensuit que : « Dans une guerre réelle, les forces britanniques ne pourront plus opérer que faisant partie intégrante des forces américaines, sous commandement américain, et servant des intérêts américains ». Voilà qui a le mérite d’être clairement dit.
Pour une illustration récente, il suffit de jeter un coup d’œil sur la prestation du Premier ministre Blair dans l’affaire irakienne – et sur sa « récompense » en termes d’influence. Côté politique, l’ambassadeur britannique a lui-même avoué par la suite que Londres n’avait pas été tenu au courant (encore moins associé à l’élaboration) des plans de l’après-guerre. Côté militaire, quelques révélations de la presse ont mis en exergue qu’une fois placées sous commandement américaine, les forces britanniques ne disposent plus de leurs propres moyens (incident emblématique dès le début de l’opération Iraqi Freedom : les troupes britanniques engagées au sol auraient eu besoin de l’appui de leurs propres avions – mais leurs appels sont restés sans effet. Le commandement américain a préféré envoyer les appareils britanniques à l’appui des forces US – en plus des avions US). Côté diplomatique, Londres n’a pas vraiment eu plus de succès. En témoignent les efforts de plus en plus désespérés déployés par Tony Blair pour pouvoir afficher ne serait-ce qu’un semblant de contrepartie en échange de son soutien inconditionnel. Washington ne leur a pas donné de suite – ni sur le dossier israélo-palestinien, ni sur celui du changement climatique. Pour une fois, l’ex-chancelier Schröder a mis plein dans le mille en faisant le constat que « sur le pont » (que la Grande-Bretagne croit constituer entre les deux rives de l’Atlantique) « la circulation est à sens unique ».
Troisièmement, et pour clore ce petit aperçu des arguments fallacieux, il nous reste les élucubrations sur les progrès que la réintégration française à l’OTAN précipiterait en matière de l’Europe de la Défense. Afin d’essayer de convaincre sur ce dossier, les militants pro-OTAN ont commencé par réchauffer le mythe de la complémentarité entre l’Alliance atlantique et la PESD. « Les deux vont ensemble », répète le chef de l’Etat à qui veut l’entendre, et d’après le ministre de la Défense, ce constat vient de « l’intuition géniale du Président ». Soit. Mais dans ce cas, ses conseillers doivent être affreusement en retard. Car l’éloge de la complémentarité est, depuis quinze ans, un exercice obligatoire dans tous les discours et débats. Il n’en comporte pas moins deux erreurs fondamentales. D’une part, dans l’acception partagée par l’Amérique et la plupart des gouvernements européens (mais pas la France) la complémentarité signifie, bien entendu, celle de l’Europe par rapport à l’Amérique et pas vice versa.
De l’autre, si poussées au bout de leurs logiques respectives, l’OTAN (cadre institutionnel de la mise sous tutelle US de l’Europe) et la PESD (ambition d’une autonomie de décision et d’action de cette même Europe) non seulement ne sont pas complémentaires, elles sont tout simplement incompatibles. Comme l’avait observé, devant la Commission de la Chambre des Communes britannique un des experts auditionnés dans le cadre d’une série de consultations sur « L’avenir de l’OTAN et l’Europe de la défense » : la contradiction entre les deux peut être gérée « tant que la PESD n'est pas très sérieuse ». Toutefois, si la PESD devenait vraiment sérieuse, « il pourrait y avoir une incompatibilité », et il serait possible d'envisager une situation dans laquelle « la main gauche pourrait commencer à se battre avec la main droite ».
Pour ce qui est de l’argument selon lequel la France réintégrée dans l’OTAN rassurerait ainsi ses partenaires sur ses intentions, et les rendrait donc plus ouverts à son projet d’une défense européenne indépendante, il est, hélas, sans aucun fondement. Prenons l’exemple du rapprochement annoncé par le Président Chirac en 1995. Si la décision française a certes réchauffé l’atmosphère dans les salles de négociation, c’était sans impliquer un infléchissement quelconque dans les positions de fond. Au contraire, c’est la fin de non-recevoir brutale opposée par le Président Clinton aux demandes françaises (révélant ainsi au grand jour la détermination américaine à ne pas céder une once de contrôle) qui a enfin amené les Européens à envisager une véritable percée (avec le lancement de la défense européenne, en 1998, en dehors de l’OTAN, sous bannière UE). En règle générale, ce n’est que les échecs transatlantiques cuisants et les humiliations spectaculaires infligés par l’Amérique qui peuvent faire bouger, un tant soit peu, les blocages persistants sur le chemin d’une émancipation européenne en matière de sécurité. Or, il y a tout lieu de penser que, sur ce plan, nous serons servis.
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Hajnalka Vincze
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