Un très bon article à propos de Wikileaks d' Andrew Gavin Marshall, qu'il faudrait faire lire aux paranos conspis qui voient la CIA partout, (Assange lui-même en serait un agent selon certains allumés qui hantent les forums un peu partout en ce moment... Ne rigolez pas, ils y croient vraiment!).
Un texte long, mais qui mérite d'être lu pour bien éclaircir les choses.
Introduction
La publication récente des 250.000 documents de Wikileaks a soulevé un intérêt sans précédent, provoquant tout un éventail de réactions - des plus positives au plus négatives. Mais une chose et sûre : Wikileaks est en train de changer la donne.
Il y a ceux qui prennent les contenus des documents publiés par Wikileaks pour argent comptant, principalement à cause de leur présentation erronée donnée par les grands médias commerciaux.
Il y a ceux qui considèrent que ces documents sont authentiques et qu’il suffit de savoir les interpréter et de les analyser.
Puis il y a ceux, dont beaucoup font partie des médias alternatifs, qui émettent des doutes.
Il y a ceux qui considèrent ces fuites tout simplement comme une opération de manipulation qui vise certains pays précis, dans l’intérêt de la politique étrangère des Etats-Unis.
Et enfin, il y a ceux qui déplorent les fuites et les qualifient de « trahison » ou d’atteinte à la « sécurité ». De toutes ces opinions, c’est sans doute cette dernière qui est la plus ridicule.
Cet essai examinera la nature des publications Wikileaks et comment il faut les aborder et les comprendre. Si Wikileaks est en train de changer la donne, il faut espérer que les gens feront en sorte que le changement soit positif.
Propagande médiatique contre l’Iran : prendre les câbles pour argent comptant.
Ce point de vue est probablement le plus répandu puisqu’il est largement diffusé par les grands médias commerciaux qui présentent ces câbles diplomatiques comme une « confirmation » de la validité de leur traitement des enjeux internationaux, plus particulièrement en ce qui concerne le programme nucléaire iranien. Comme d’habitude, c’est le New York Times qui mène l’assaut contre la vérité et se livre sans relâche à une propagande au service de l’impérialisme US, avec des gros titres tels que « L’Iran préoccupe le monde entier » et qui explique qu’Israël et les dirigeants arabes sont d’accord sur la menace nucléaire que représente l’Iran. L’article est accompagné d’un commentaire qui dit « les câbles révèlent en filigrane l’opinion partagée par de nombreux dirigeants qu’à moins d’une chute du régime à Téhéran, l’Iran possédera tôt ou tard l’arme nucléaire. » (1) Fox News a diffusé un article affirmant que « Les documents montrent un consensus au Moyen-orient sur la menace iranienne », avec le commentaire « la fuite explosive de Wikileaks a montré un consensus profond au Moyen-orient que l’Iran est le principal fauteur de troubles dans la région. » (2)
Ceci, bien entendu, n’est que de la propagande. Il faut néanmoins analyser cette propagande pour pouvoir déterminer avec précision quelle est la part de propagande contenue dans ces articles. S’il faut garder un esprit critique envers les sources et les campagnes de désinformation (qui sont monnaie courante comme le savent tous ceux qui suivent les médias de près), il faut aussi prendre en compte le point de vue personnel de la source et réussir à distinguer la part de la vérité de l’opinion exprimée. Je crois vraiment que ces documents sont authentiques. Je ne souscris donc pas à l’idée qu’ils font partie d’une opération de guerre psychologique ou d’une campagne de propagande, du moins pour ce qui concerne leur publication proprement dite. Il ne faut pas perdre de vue que les sources de ces documents sont les circuits diplomatiques US et que les déclarations qu’ils contiennent sont donc le reflet des points de vue et des opinions exprimés par le corps diplomatique US. Les documents sont donc une représentation fidèle de leurs déclarations et opinions mais ne constituent pas pour autant une représentation fidèle de la réalité.
C’est là que les médias entrent en jeu pour organiser la propagande autour de ces fuites. Les deux exemples mentionnés ci-dessus affirment que les fuites montrent qu’il existe un « consensus » sur l’Iran et donc que les craintes exprimées par les Etats-Unis, et par d’Israël bien sûr, ces dernières années se trouvent ainsi « confirmées ». C’est ridicule. Les médias on pris pour argent comptant les dires des diplomates US et des dirigeants du Moyen-orient et que s’ils répètent tous que l’Iran représente une « menace » ou cherche à se doter de « l’arme nucléaire », c’est que ça doit être vrai. Rien n’est moins sûr. Si un général ordonne à des soldats de prendre d’assaut une maison qui est censée abriter un terroriste, cela ne signifie nullement que la maison abrite effectivement un terroriste. De même, ce n’est pas parce que les dirigeants du Moyen-orient présentent l’Iran comme une menace que l’Iran constitue effectivement une menace.
Encore une fois, examinons les sources. Pour quelle raison les dirigeants arabes seraient-ils une source d’information « fiable » ? Par exemple, une « révélation » qui a fait le tour du monde est l’insistance du Roi Abdullah d’Arabie Saoudite auprès des Etats-Unis pour que ces derniers « tranchent la tête du serpent » iranien, et son appel à l’Amérique pour lancer une frappe militaire contre l’Iran. (3) Les médias l’ont présenté comme une « preuve » du « consensus » sur la « menace » que représente l’Iran pour le Moyen-orient et le monde entier. C’est cette ligne de propagande qui a été servie par le New York Times, Fox News et le gouvernement israélien, parmi tant d’autres. Il faut pourtant remettre en contexte cette information, chose que le New York Times a l’habitude de ne pas faire (volontairement, pourrais-je ajouter). Je ne mets pas en doute l’authenticité de ces déclarations ni le fait que les dirigeants arabes affirment que l’Iran représente une « menace ». D’un autre côté, l’Iran a déclaré que ces fuites sont « malveillantes » et qu’elles servent les intérêts des Etats-Unis. L’Iran a aussi déclaré qu’il était « ami » avec ses voisins. (4) Ca aussi, c’est de la propagande. Encore une fois, il faut remette les choses dans leur contexte.
L’Iran est une nation chiite, alors que les pays arabes, l’Arabie Saoudite en tête, sont à majorité Sunnite. Ceci représente une division entre les pays de la région, du moins en surface. Mais la vérité est que l’Arabie Saoudite et l’Iran sont loin d’être des « amis », et qu’ils ne sont plus en bons termes depuis le renversement du Chah en 1979. L’Iran est le principal concurrent de l’Arabie Saoudite en termes de pouvoir et d’influence dans la région et représente donc une menace politique pour l’Arabie Saoudite. De plus, les états arabes, dont les déclarations sur l’Iran sont largement diffusées, comme celles de l’Arabie Saoudite, Bahreïn, Oman, les Émirats Arabes Unis et l’Égypte, doivent être interprétées dans le contexte des relations de ces pays avec les Etats-Unis. Les états arabes sont des marionnettes des Etats-Unis dans la région. Leurs armées sont subventionnées par le complexe militaro-industriel des Etats-Unis, leurs régimes (qui sont tous des dictatures ou des dynasties) sont soutenus et alimentés par les Etats-Unis. Il en est de même pour Israël, qui lui au moins affiche une façade démocratique, à la manière des Etats-Unis.
Les pays arabes et leurs dirigeants savent que l’unique raison pour laquelle ils gardent le pouvoir, c’est parce que les Etats-Unis le veulent bien et les soutiennent. Ils sont ainsi dépendants des Etats-Unis et de son soutien politique, financier et militaire. S’opposer aux ambitions des Etats-Unis dans la région est le chemin le plus court pour finir comme l’Irak et Saddam Hussein. L’histoire moderne du Moyen-orient est remplie d’exemples de dirigeants marionnettes et favoris de l’Empire qui ont été rapidement transformés en ennemis et « menaces pour la paix ». Dans ce cas, il s’ensuit un changement de régime provoqué par les Etats-Unis et une nouvelle marionnette prend la place de l’ancienne. Si les dirigeants arabes disaient que l’Iran n’était pas une menace pour la paix, ils se retrouveraient rapidement dans la ligne de mire de l’impérialisme occidental. De plus, de nombreux dirigeants, tels le Roi Abdullah, sont virulents et haïssent l’Iran tout simplement parce qu’ils sont concurrents dans la région. Une chose est sûre pour tous les états et leurs dirigeants, c’est qu’ils sont fondamentalement égoïstes et obsédés par leurs intérêts propres et le renforcement de leurs pouvoirs.
L’Arabie Saoudite, en particulier, mène activement une lutte d’influence contre l’Iran. Au Yémen, l’Arabie Saoudite est impliquée dans une autre guerre de conquête impériale des Etats-Unis, en participant à la répression des mouvements de libération scissionnistes au nord et au sud du Yémen.
Le Yémen, dirigé par Saleh, un dictateur soutenu par les Etats-Unis et au pouvoir depuis 1978, se livre à l’extermination de sa propre population pour se maintenir au pouvoir, avec l’aide des Etats-Unis. Le conflit est pourtant présenté en général dans sa version propagandiste comme un conflit d’influence régionale entre l’Arabie Saoudite et l’Iran. Alors qu’il ne fait aucun doute que l’Arabie Saoudite est impliquée dans le conflit, ceci de son propre aveu, il n’existe par contre aucune preuve d’une implication de l’Iran, qui est pourtant constamment accusé d’ingérence par l’Arabie Saoudite et le Yémen. Il s’agit peut-être d’une tentative d’entraîner l’Iran dans le conflit ou tout simplement d’une nouvelle diabolisation du pays. Au milieu de cette nouvelle guerre yéménite, les Etats-Unis ont signé une vente d’armes avec l’Arabie Saoudite qui a battu tous les records de ventes d’armes des Etats-Unis, d’un montant de 60 milliards de dollars. Le contrat, et ce n’est pas un secret, est destiné à renforcer les capacités militaires de l’Arabie Saoudite afin de pouvoir intervenir plus efficacement au Yémen mais surtout pour défier et contrer l’influence croissante de l’Iran dans la région. Bref, les Etats-Unis sont en train d’armer leurs régimes marionnettes en vue d’une guerre contre l’Iran.
Israël n’a pas dénoncé cette vente d’armes tout simplement parce qu’à terme, cette vente servira ses intérêts dans la région où sa cible principale est l’Iran. De plus, Israël, un autre état marionnette, est soumis aux intérêts des Etats-Unis. Si une guerre régionale contre l’Iran est effectivement en cours de préparation, et il semblerait pour beaucoup que ce soit le cas, il est certainement dans l’intérêt d’Israël d’avoir des alliés contre l’Iran dans la région.
Wikileaks est-il une opération de propagande ?
Les dirigeants israéliens ont insisté lourdement pour dire que les documents de Wikileaks ne leur portaient aucun tort. Avant leur publication, le gouvernement US a informé les officiels israéliens sur le type de documents qui allaient être publiés concernant Israël. (5) Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a déclaré, « il n’y a aucune divergence entre nos positions publiques, entre nous et Washington, et notre perception de nos positions respectives » (6) Le ministre de la Défense Ehud Barak a affirmé que ces documents « offrent une vision plus précise de la réalité. » (7) Un haut officiel turc a déclaré que de voir quels pays étaient satisfaits de ces fuites en disait suffisamment long et il a suggéré qu’Israël « est à l’origine de ces fuites » pour tenter de faire prévaloir ses intérêts et « faire pression sur la Turquie. » (8)
De plus, des spéculations circulent sur Internet et dans différents médias au sujet de Wikileaks comme quoi ce dernier serait lui-même une organe de propagande, peut-être même une façade de la CIA et un moyen pour « contrôler l’opposition » (qui, nous le savons, n’est pas immune aux activités de la CIA). Une telle spéculation est fondée sur l’utilisation qui est fait de l’information livrée par les câbles et semble totalement ignorer leur contexte.
Quel est ce contexte ? Commençons par Israël. Il ne fait aucun doute qu’Israël est bien un état criminel (comme tous les états, au fond), mais sa criminalité dépasse celle de la plupart des autres états dans le monde, à l’exception peut-être des Etats-Unis. Le nettoyage ethnique des Palestiniens est un des crimes les plus terribles et un des crimes contre l’humanité les plus persistants de ces 50 dernières années, et l’histoire jugera Israël comme l’état pervers, guerrier, inhumain et détestable qu’il est. Cela étant dit, Israël est tout sauf subtil. Lorsque le Premier Ministre israélien déclare que les documents de Wikileaks n’embarrassent pas son pays, il a très certainement raison. Et ce n’est pas parce qu’Israël n’a rien à cacher (rappelez-vous que les documents de Wikileaks ne sont pas des documents « top-secret », juste des câbles diplomatiques), mais tout simplement parce que les échanges diplomatiques d’Israël sont largement le reflet de ses déclarations publiques. Israël et ses dirigeants ont l’habitude de faire des déclarations absurdes, de menacer sans cesse l’Iran et ses voisins d’une guerre, ou de semer sa propagande selon laquelle l’Iran fabrique des armes nucléaires (chose qui reste à prouver). C’est pour cela que les fuites ne « touchent » pas Israël, parce que l’image d’Israël est déjà exécrable et parce que les diplomates et politiciens israéliens sont généralement aussi francs dans leurs déclarations publiques qu’ils le sont en privé. L’image d’Israël n’est donc pas modifiée par ces câbles. Bien sûr, les dirigeants israéliens – politiques et militaires – profitent de ces fuites pour déclarer qu’elles « confirment » leur opinions sur l’Iran, ce qui à l’évidence n’est qu’une opération de propagande, avec exactement la même technique que celle employée par les grands médias et qui consiste à prendre les câbles pour argent comptant.
L’Iran a affirmé que les fuites de Wikileaks n’étaient qu’une opération de propagande occidentale qui visait l’Iran. Cette déclaration elle-même doit être considérée comme de la propagande. Après tout, l’Iran a déclaré aussi qu’il était « ami » avec tous ses voisins, ce qui est faux et a toujours été faux. L’Iran, comme tous les états, a recours à la propagande pour servir ses propres intérêts. L’Iran n’est en aucun cas un pays merveilleux. Mais comparé aux pays chéris par les Etats-Unis dans la région (l’Arabie Saoudite par exemple), l’Iran constitue un bastion de liberté et de démocratie. Ceux qui tentent de contrer la désinformation et la propagande doivent demeurer vigilants devant les campagnes de désinformation menées contre l’Iran, et elles sont nombreuses. On sait que l’Iran fait partie des cibles des ambitions impérialistes des Etats-Unis. Mais il n’y a rien dans les documents de Wikileaks qui paraît faux en ce qui concerne l’Iran, particulièrement ceux rédigés par les diplomates occidentaux et les dirigeants arabes. Ces documents expriment effectivement leurs opinions et leurs opinions reflètent tout simplement les priorités politiques des Etats-Unis et de l’Occident et non l’expression d’une vérité. Il faut donc faire la distinction entre l’authenticité des documents et la véracité de leur contenu.
Lorsque l’Iran déclare que les documents de Wikileaks ne sont que propagande, c’est faux. Il faut non seulement analyser l’authenticité des documents (et leurs sources) mais aussi, et c’est peut-être le plus important, analyser l’interprétation qui est faite de ces documents. Ce n’est donc pas l’authenticité de ces documents qui ne font qu’exprimer l’opinion de l’Occident et du Moyen-orient sur l’Iran (car ces opinions coïncident avec les réalités géopolitiques de la région) que je mets en doute, mais l’interprétation qui est faite de ces documents. C’est leur interprétation qui constitue à mes yeux la véritable opération de propagande de la part des gouvernements occidentaux et des médias. Cette propagande consiste à décrire ces documents comme des « analyses objectives » d’une réalité concrète, ce qui n’est pas le cas. Les documents sont « objectifs » dans la mesure où ils reproduisent des points de vues exprimés par leurs auteurs, ce qui ne signifie nullement qu’ils sont le reflet de la réalité. Il y a là une différence qu’il faut absolument comprendre, à la fois pour pouvoir dénoncer la propagande et discerner la part de vérité. (...)