Paul Jorion - Le temps qu'il fait le 14 mai 2010
envoyé par PaulJorion. - Regardez les dernières vidéos d'actu.
Un système sain présente en général une très grande capacité à supporter la présence de parasites. Mais si ceux-ci pullulent alors, passé un certain seuil dans l’affaiblissement, leur présence peut tuer l’animal. La mort de l’hôte n’est pas dans l’intérêt du parasite mais comme il ne sait rien faire d’autre que d’être ce qu’il est selon sa nature, il n’interrompt pas son effort, provoquant la perte de son hôte ainsi que la sienne propre.
On en a eu l’illustration en 2009 : alors que l’économie était toujours dans les derniers dessous, le secteur bancaire, sauvé par les aides étatiques, retrouvait la santé et dispensait à nouveau ses largesses à ses dirigeants et à ses employés les plus talentueux dans l’accumulation du profit. Largesses qui ne trahissaient pas la folie, mais ne faisaient que refléter la proportion colossale dans laquelle ce secteur parvenait à nouveau à détourner vers lui la richesse. Quand les politiques proposèrent de plafonner les bonus, ils choisirent d’ignorer que ces primes indécentes n’étaient que des commissions relativement modestes sur des sommes elles à proprement parler pharamineuses. Quand des velléités apparurent de taxer ces profits monstrueux, les financiers firent immédiatement savoir que toute charge ponctionnée sur leurs opérations serait automatiquement répercutée par eux sur leurs clients. Vu l’impunité de principe dont ils bénéficient, cela aurait sûrement été le cas.
Au cours des semaines récentes, le travail d’investigation des régulateurs et les bureaux des procureurs d’États américains a mis toujours davantage en lumière le rôle joué par la simple cupidité dans le déclenchement de la crise. L’économie étant devenue au fil des années l’otage du secteur financier – et ceci, d’intention délibérée, par choix idéologique – s’effondra dans son sillage. Les États se précipitèrent alors au secours de ce secteur financier, en raison du risque systémique que son écroulement faisait courir. Mais en se refusant à opérer dans les activités financières un tri entre celles utiles à l’économie (ce que Lord Adair Turner, président de la FSA, le régulateur des marchés britanniques appelle les transactions « socialement utiles ») et celles dont la seule fonction est de siphonner une partie de la richesse vers les plus grosses fortunes. Les États ayant épuisé leurs ressources, imposent ce qu’ils appellent l’« austérité » ou (pourquoi se gêneraient-ils ?) la « rigueur », c’est-à-dire se tournent vers les classes populaires et les classes moyennes en exigeant d’elles par un impôt non-progressif et en opérant des coupes sombres dans les mesures de protection sociale en place, de rembourser les sommes manquantes.
La logique en marche est implacable : une évolution a eu lieu, d’une situation où le parasitisme de la finance était relativement tolérable à une autre où il a cessé de l’être. Les États, et les organismes supranationaux peut-être encore davantage, au lieu de tenter d’exterminer le parasite, se tournent au contraire vers l’animal et exigent de lui un effort supplémentaire. Comme c’est de sa propre survie qu’il s’agit désormais, la réaction de celui-ci est prévisible.
Imbécillité profonde des États, encouragée par les « vérités » charlatanesques de la « science » économique, ou complicité caractérisée avec les ennemis de leurs peuples ? Au point où l’on en est arrivé, la distinction a cessé d’être pertinente. Facteur aggravant : ces mêmes États ne manqueront pas de considérer que les sursauts des peuples, réaction saine de leur instinct de survie, sont excessifs et les condamneront, sans penser à leurs erreurs et à leur propre responsabilité dans l’aggravation de la crise.
Un retour à la progressivité de l’impôt est souhaitable. Pourrait-elle seulement être réinstaurée – ce qui paraît peu probable vu le pouvoir historique de l’argent à prévenir un tel rééquilibrage – qu’elle ne parviendrait encore qu’à figer la concentration de la richesse dans son état présent. Or cette concentration est telle aujourd’hui qu’aucune économie ne peut plus fonctionner dans son cadre : les ressources font à ce point défaut là où elles sont requises comme avances dans la production des marchandises ou comme soutien à la consommation des ménages, que le montant des intérêts versés compris dans le prix de tout produit ou service rend celui-ci excessif. Il faudra donc remédier à la concentration des richesses telle qu’elle existe dans son état présent. C’est seulement après qu’une certaine redistribution aura été opérée qu’une imposition progressive pourra s’assurer que le processus de concentration ne reprenne une nouvelle fois son cours mortifère. Bien sûr, ceux qui ont accumulé des fortunes colossales s’affirmeront spoliés (le mot « liberté » sera sans aucun doute galvaudé par eux une fois encore) et prétendront que la possession de ces sommes leur est indispensable pour être ceux qu’ils sont à leurs propres yeux. La réponse qu’il faudra leur opposer est que l’image qu’ils se font d’eux-mêmes importe peu puisque leur fonction est claire désormais : ils se contentent de pomper le sang de leur hôte. Quant à celui-ci, la dégradation généralisée du capitalisme l’a acculé à faire un choix entre sa propre survie et celle des parasites qui l’infestent. Et ce choix, il l’a fait.
(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
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