- Des manifestations se sont propagées rapidement dans plusieurs pays arabes : Tunisie, Algérie, Egypte, Jordanie, Yémen et Soudan. Quel est votre éclairage sur cette onde de choc qui a surpris tout le monde ?

- Comment expliquez-vous que les populations sortent soudainement dans les rues en bravant l’état de siège et le couvre-feu ?
Le mur de la peur n’est-il pas tombé brutalement ?
Ces derniers temps, des milliers de manifestants envahissent spontanément chaque jour les rues dans les pays arabes. Ces événements ne sont, selon Noam Chomsky, comparables nulle part ailleurs. Ils revendiquent clairement une justice sociale, des libertés, de la dignité, la fin du règne de la hogra. Le pouvoir des kleptomanes est de plus en plus contesté et rejeté dans sa totalité. Marginalisée, représentant plus de 70% de la population, la jeune génération s’est accaparée de l’espace public sans demander l’autorisation aux bureaucrates. Les populations n’ont plus peur du régime policier et corrompu, l’abus d’obéissance à un pouvoir arbitraire s’est transformé soudainement en révolte. La peur a changé de camp, la nomenklatura a commencé en catimini à évacuer sa progéniture à l’étranger. Ce mouvement démocratique fera tomber inéluctablement ces régimes un à un plus tôt que l’on ne l’avait imaginé. Cette onde de choc n’est ni une colère ni une révolte, c’est un mouvement révolutionnaire qui s’est mis en branle ces dernières années. On est objectivement devant un processus dans le sens classique du terme. C’est la première fois dans l’histoire qu’une révolution sociale est en marche dans le monde arabe et dans l’ensemble du monde musulman. Ce mouvement spontanément initié par les jeunes, les exclus, les marginaux et les laissés-pour-compte de l’économie de bazar a rapidement fédéré les couches moyennes citadines en un élan patriotique. Ce mouvement conduira inéluctablement les pays arabes à la modernité, en opposition aux tenants qui prédisaient «le choc de civilisations». Comme revendication immédiate, ce profond mouvement réclame, tout simplement, le départ des chefs d’Etat élus pourtant «démocratiquement» à la suite de scrutins supervisés par la communauté internationale. Comme en Tunisie, il n’y a pas eu de slogans anti-occidentaux et anti-Israéliens en Egypte et ailleurs. Le slogan mobilisateur de la révolution tunisienne, «Dégage», en s’adressant au président Zinedine Ben Ali, fut spontanément adopté par la rue arabe. Comme Emmanuel Todd le soutient, la Tunisie contribuera à faire passer le monde arabe de l’autre côté du miroir et rendre caduc le sempiternel discours sur l’incapacité structurelle des pays arabes à devenir des démocraties. La refondation des relations internationales est mise en place avec la participation cette fois-ci des pays arabes. (...)
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